Histoire de
l'électrification des chemins de fer français
Texte repris de J-F Picard, 'Technique universelle et filières nationales' in Sciences et Techniques en Perspective, Vol 1, n°1, 1997 En
1955, l'électrification de la ligne Valenciennes-Thionville
coïncidait avec le record de vitesse mondial de deux locomotives
électriques de la SNCF lancées à plus de trois cent kilomètres à
l'heure. A l'époque, peu d'observateurs notèrent que le record fut
obtenu avec un système d'électrification ancien, le courant continu
1500 volts alors que la rocade du Nord-Est inaugurait la première ligne
de chemin de fer électrifiée en courant alternatif haute tension (25
kV) à fréquence industrielle (50 périodes, ou Hertz). Selon la formule
de l'époque, ce
nouveau mode d'électrification devait permettre de faire circuler les
trains les plus lourds d'Europe - en attendant que ce soient les plus
rapides avec le TGV - sous la caténaire la plus légère du monde.
Désormais, le chemin de fer pourrait puiser son énergie directement
auprès du producteur national d'électricité, ce nouveau système se
voyant qualifié d'"universel" par ses concepteurs, car susceptible de
remplacer tous les dispositifs d'électrifications ferroviaires utilisés
jusque-là. En effet, alors que les différents réseaux européens ont
cherché très
tôt à réaliser une inter opérabilité indispensable pour assurer la
circulation des hommes et des marchandises, ainsi en matière
d'écartement des voies - à l'exception notable des Russes et des
Espagnols - ou des systèmes d'attelages et de freinages, en revanche
chaque pays a finalement retenu des dispositions particulières pour
électrifier son réseau ferré. Sans entrer dans les détails, on sait
qu'il existe aujourd'hui quatre standards d'électrification sur le
vieux continent, à savoir le monophasé germano-helvétique à la
fréquence de 16 2/3 Hz, le continu 1500 Volts franco-hollandais, le
continu 3 kV et enfin le monophasé 50 Hz développé au lendemain de la
Seconde Guerre Mondiale.
En effet, à coté des arguments techniques et économiques, il existe
aussi d'autres critères de choix stratégiques, voire politiques, pour
électrifier les chemins de fer. Ainsi, il apparaît que les querelles
franco-allemandes qui ont émaillées le vingtième siècle - dont deux
guerres mondiales dont on verra l'importance dans ce processus -
peuvent expliquer pourquoi en France les chemins de
fer du Midi choisissent le courant alternatif monophasé à fréquence spéciale (16
2/3 Hz) d'inspiration germano-helvétique pour réaliser une première
électrification d'envergure, un système abandonné ensuite au profit du
courant continu pour
revenir cinquante ans plus tard à l'alternatif dans une
perspective de construction européenne, mais cette fois à la fréquence
industrielle de 50 périodes par seconde.
Le choix de l'exploitant Le deuxième acteur dans l'électrification ferroviaire est constitué par les compagnies de chemin de fer. En effet, pour l'exploitant, l'électricité apporte des solutions à deux types de contraintes posées d'un côté par les lignes de montagne, de l'autre par l'exploitation des réseaux urbains. En ville, le problème posé au rail est la capacité à écouler du trafic, donc la fréquence des trains et les nuisances qu'ils provoquent. Loin de l'accessoire, ce dernier point révèle tous les avantages de l'électricité lorsqu'il s'agit de faire circuler des convois en tunnel. Ainsi, sans traction électrique point de métro ou de lignes urbaines qui deviennent ainsi le champs d'action privilégié du courant continu basse tension. Comme on le verra, à Paris comme dans bien d'autres grandes villes, c'est la technique Thomson-Houston qui permet l'installation du réseau métropolitain et à Hippolyte Parodi du P.O. et à Natalis Mazen des Chemins de fer de l'Etat d'électrifier la banlieue parisienne. Dans les régions montagneuses, il y a deux raisons d'électrifier le chemin de fer. La première est due à dame nature puisque la fourniture d'énergie électrique se trouve facilitée avec l'installation des barrages et les usines hydro-électriques fournissent à l'exploitation ferroviaire les ressources de puissance inégalées du courant alternatif. C'est ainsi que la Suisse a su développer très tôt une puissante industrie électrique autour de l'ensemble turbines-alternateurs-traction. Les Ateliers Oerlikon, Brown-Boveri à Baden, SLM à Winterthur sont des firmes installées au tournant du dix neuvième et du vingtième siècle qui vont faire de ce pays l'un des leaders mondiaux de l'électro-technique. Cependant, l'utilisation du courant alternatif en traction ferroviaire se heurte à certaines sujetions techniques. L'emploi d'un courant triphasé permet la réalisation de machines robustes, mais pénalise la souplesse de fonctionnement des locomotives et requiert un dispositif d'alimentation complexe qui le fera abandonner après quelques réalisations notables, comme celles des Ferrovie dello Stato en Italie septentrionale. Ainsi nait l'idée d'utiliser un courant alternatif monophasé qui ne nécessite qu'une simple ligne d'alimentation. Cependant, la commutation du moteur à collecteurs en monophasé est rendue délicate par une force électromotrice statique, d'autant plus gênante que la fréquence du courant est élevée. Les ingénieurs ont donc envisagé l'usage d'un courant à fréquence de 16 2/3 Hz et le graduateur-moteur à enroulement spécial est mis au point en 1904 par l'ingénieur-docteur Hans Behn-Eschenburg de la firme Oerlikon. Des essais réalisés sur la petite ligne Seebach-Wettingen s'avèrent suffisamment probants pour convaincre les chemins de fer helvétiques d'adopter un courant alternatif à fréquence de 16 2/3 à la tension de 15 kV. Les premières réalisations concernent le Bern-Löchstberg-Simplon en 1907, suivie de la ligne du Saint-Gothard en 1918, selon des dispositions qu'adopteront bientot l'Allemagne, l'Autriche et les pays scandinaves.
Les Chemins de fer du Midi optent pour l'alternatif Ce courant alternatif
monophasé à fréquence spéciale
s'avère suffisamment attractif pour susciter
l'intérêt de la Compagnie des chemins de fer du Midi, le
plus montagneux des grands réseaux français. Son
directeur Jean-Raoul Paul est un polytechnicien
passionné d'électricité comme l'atteste sa
participation au premier congrès international de la Houille
blanche au tout
début de ce siècle. Après une première
réalisation en continu basse tension sur la petite ligne
à voie métrique de Cerdagne (Villefranche de Conflent -
La Tour de Carol), en 1908 J.-R. Paul décide
d'électrifier le réseau du Midi avec le système
germano-suisse, c'est à dire en monophasé haute tension,
d'autant que la chaine pyrénéenne ne
bénéficie alors d'aucune installation de production
hydroélectrique. Tout est à entreprendre, ce qui débouchera, à terme, sur la construction de
barrages
de hautes chutes dans les hautes
vallées pyrénéenne et sur l'électrification générale des
régions aquitaine et languedocienne. En 1910, la Cie. du Midi décide d'équiper la ligne de
Perpignan à Villefranche de Conflent en 12 kV- 16 2/3 afin d'y tester six locomotives prototypes proposées par l'industrie.
Au cours des années suivantes les lignes de
Lourdes à Pierrefitte, de Tarbes à Bagnères de
Bigorre et l'amorce de
la rocade Toulouse-Bayonne sont équipées à leur tour, mais elles ne
semblent avoir connues qu'un très timide début
d'exploitation électrique, contrairement à la la ligne Perpignan - Villefranche qui restera exploitée avec ce système jusque dans les années 1970. De même, au Sud-Est, après
une première réalisation en continu basse tension sur la
petite ligne Le Fayet-Vallorcine, le réseau
Paris-Lyon-Méditerranée (PLM) entreprend des essais
d'électrification en monophasé alternatif entre Cannes et
Grasse,
mais en optant pour du monophasé 25 Hz caractéristique de
la distribution
électrique dans la région desservie,
l''Énergie Electrique du Littoral
Méditerranéen'.
La Grande Guerre et l'intervention des pouvoirs publics Survient la Première Guerre mondiale et l'apparition d'un nouveau protagoniste, l'Etat. Du fait des circonstances, celui-ci est appelé à intervenir dans les programmes d'électrification générale, comme dans l'exploitation des chemins de fer. Il lui revient de concéder l'exploitation des barrages et de normaliser les grands réseaux de communication ou d'énergie. Mais surtout, le conflit a commandé une mobilisation industrielle nécessitée par les besoins de la défense nationale. Privé des mines du Nord, la pénurie de charbon pénalise les chemins de fer français qui y puisent encore l'essentiel de leurs ressources en énergie. En 1917 les grands réseaux, Nord, Est, PLM, P.-O., Midi, Ouest-Etat, ayant été placés sous la tutelle du ministère des Travaux publics, sont conviés à rationaliser leur exploitation grâce à un programme d'électrification qui permettrait d'économiser deux millions de tonnes d'un combustible dont le prix a décuplé depuis le début de la guerre. En fait, le ministère des Travaux publics reprend un ambitieux programme d'électrification de neuf mille kilomètres de lignes ferroviaires, élaboré à la veille de la grande guerre, fondé sur des concessions d'usines hydroélectriques accordées aux grands réseaux, le P.-O., le Midi et le PLM. L'électrification du rail est donc couplée à celle du réseau général de distribution électrique préconisée par les Travaux publics. En avril 1918, une note administrative précise ainsi que "pour les installations de production distribution d'électricité à réaliser dans les régions dévastées par l'ennemi et pour des concessions nouvelles, on (devra) adopter le courant l'alternatif triphasé à cinquante périodes", devançant ainsi une normalisation de la fréquence industrielle décidée par une conférence internationale des grands réseaux d'énergie (CIGRE, 1922).
1920, le Comité d'étude pour l'électrification des chemins de fer Le
14
novembre 1918, soit trois jours après l'armistice qui
marque la fin de la grande guerre, le ministère des Travaux
publics installe un comité d'études pour
l'électrification des réseaux de chemins de fer
d'intérêt général. Cet organisme est
placé sous la présidence de Gabriel Cordier, le patron de
l''Électricité du Littoral
Méditerranéen', la société qui a
permis les essais du PLM avant-guerre. Il comprend l'ancien ministre
des Travaux publics, Louis Loucheur, son rapporteur est un
universitaire, le professeur Mauduit de la Faculté de Nancy.
L'etat-major y a dépêché ses représentants
qui expriment les réticences militaires
vis-à-vis d'éventuelles électrifications des
lignes de l'Est et du Nord de la France. Car le comité réunit évidemment les
représentants des grands réseaux, Hippolyte Parodi pour
le P.-O., Natalis Mazen pour l'État, Ferrand pour le PLM, ainsi
que des ingénieurs des PTT, mais, curieusement, aucun de la Cie. du Midi. Début 1919, une mission
technique se rend en Suisse et en Italie pour étudier
l'électrification en alternatif, système défendu
par le pr. Mauduit. Puis en juillet aux États-Unis pour
évaluer le continu, cette fois à l'instigation d'H. Parodi.
Les premières conclusions du comité traduisent un
enthousiasme modéré puisqu'il est fait état
d'expériences fragmentaires - un millier de locomotives
électriques en service dans le monde contre trois cent mille
à vapeur - et surtout d'une diversité de dispositions
techniques qui conforte certains de ses membres dans la conviction de
la supériorité de la vapeur pour la grande traction. Lors
d'une conférence donnée devant la
Société française des électriciens, Natalis
Mazen qui est alors engagé dans un vaste plan d'électrification de la banlieue de l'ouest parisien déclare que «l'électricité
n'a pas encore fait ses preuves en grande traction ferroviaire. Aux
Etats-Unis, elle a surtout été source de
difficultés techniques et économiques; par exemple elle
ne permet pas de faire mieux que les locomotives à vapeur. Ainsi
pour les trains de marchandise, quel que soit le mode de traction on
reste tributaire de la limite de résistance des attelages. Au
reste, l'électrification des chemins de fer n'est
intéressante que pour les lignes de banlieue où on peut
faire circuler des automotrices à adhérence totale,
d'où d'ailleurs (notre) préférence pour le courant
continu basse tension plus pratique sur ce type de
matériel» (N. Mazen, 'La grande traction par l'électricité, l'état actuel de la question, RGCF, 1919). Parallèlement à cette enquête administrative,
un débat s'amorce entre les constructeurs de locomotives et les
exploitants. Les premiers organisent une mission d'industriels
français en Suisse, avec à sa tête Georges Darrieus
ingénieur à la 'Compagnie
électro-mécanique' (émanation de Brown-Boveri), afin de
réexaminer les réalisations en alternatif. Les
exploitants y répondent en dépêchant
l''Office central de construction et d'étude du
matériel ferroviaire' (OCEM), une émanation des
grands réseaux et ils partent visiter le 'North-Eastern'
britannique où existe une ligne électrifiée en 1,5
kV continu par la firme 'Dick Kerr' (English Electric). En
définitive, une
décision
ministérielle du 29 août 1920 décide d'unifier le
système d'électrification des chemins de fer
français autour du courant continu à la tension de 1,5
kV,
exceptionnellement portée à 3 kV.
L'alternatif
monophasé étant rejeté au prétexte des perturbations
qu'il engendrerait dans le réseau téléphonique
longeant les voies ferrées. ![]() ![]() J-R Paul et H. Parodi, deux polytechniciens pionniers de l'électrification des chemins de fer français (DR)
Affinités industrielles et dirigisme technologique Evidemment, cette décision équivaut à condamner les premières réalisations du Midi en courant alternatif. En réalité, si la brutalité de la sentence doit vraisemblablement beaucoup aux pratiques dirigistes de la guerre où une administration centrale en position de force pouvait imposer son arbitrage, il faut aussi évoquer ici le rôle de certains exploitants et de leurs politiques d'équipement. En effet, le continu 1,5 kV a été souvent qualifié de 'système Parodi', tant l'électricien du P.-O. semble avoir pesé dans cette décision. Certes, l'intéressé reconnaît la supériorité théorique de l'alternatif pour la traction, mais il lui reproche son incapacité à consommer directement le courant fourni par un réseau d'énergie (du courant triphasé à 50 Hz). Plus tard, il racontera s'être précipité chez H. Behn-Eschenburg pour lui demander s'il pensait pouvoir fabriquer des moteurs directs fonctionnant en monophasé cinquante périodes. La réponse négative de l'ingénieur suisse l'aurait convaincu du peu d'intérêt de ce dispositif : «En Allemagne et en Suisse, écrit-il en janvier 1920 dans la RGCF, une théorie purement étatiste (sic) et très particulariste a abouti à des centrales électriques construites et exploitées par l'État, uniquement pour alimenter les réseaux de chemin de fer» . Dès lors, dit il, pourquoi ne pas recourir au courant continu qu'il a expérimenté sur la banlieue parisienne et qui est : «...susceptible d'être fourni à partir de n'importe quelle source primaire » (H. Parodi, 'Le développement actuel de la traction électrique sur les grands réseaux de chemin de fer', RGCF, janv. 1920). Or, si le courant continu se prête bien à l'alimentation des moteurs à collecteurs, il crée de grosses sujétions en matière d'équipements fixes. Les moteurs des machines appelés à fonctionner sous de fortes intensités, on doit multiplier le nombre de sous-stations et poser une caténaire à forte section de cuivre destinée à éviter les pertes en ligne. Bref, si nul ne conteste que son coût d'équipement soit très supérieur à celui de l'alternatif, Parodi estime que le continu n'empêchera pas l'électricité ferroviaire de sortir des usages où elle était cantonnée jusque là, i.e. la banlieues et les lignes de montagne. Ajoutons enfin que derrière le rejet du monophasé alternatif semble se profiler aussi le refus des ingénieurs français de solliciter les compétences des électriciens d'outre-Rhin. Au sortir de la Première Guerre mondiale, le risque est évoqué d'une compatibilité des électrifications entre les deux pays qui permettrait une éventuelle revanche du vaincu avec la réquisition de ses locomotives. Mais si l'argument a porté, Parodi a aussi souhaité recourir à la technique du vainqueur, c'est-à-dire au courant continu utilisé dans les pays anglo-saxons. D'ailleurs loin de renier cette influence nord-américaine, le P.-O. rappelle avec fierté qu'il a électrifié sa banlieue avec le système Thomson-Houston ou qu'en 1917, il a assuré le débarquement en Europe des troupes du général Pershing, voire qu'il a même commandé quatre vingt locomotives à vapeur à l''American locomotive C°' . En définitive, pour H. Parodi, nul doute que le courant continu constitue le nec plus ultra en matière de traction ferroviaires, ce dont il veut pour preuve l'exemple américain où l'on compte quatorze cents kilomètres de voies électrifiés en continu 3 kV, autant en alternatif, mais trois fois plus en continu 1,5 kV (chiffres de 1915). Néanmoins, le P.-O. devra recourir à l'industrie suisse pour équiper son réseau. La 'Compagnie électro-mécanique' (CEM), filiale technique de Brown-Boveri, construit les groupes tournants de ses sous-stations, tandis que le constructeur helvète réalise la célèbre 2D2 501, prototype des locomotives de vitesse en France pendant le quart de siècle à venir.
L'extansion du 'système Parodi' La première réalisation du P.-O. est l'électrification de la ligne Paris Vierzon en décembre 1926 permise par la construction des grands barrages du Massif Central. Si la décision de 1920 paraît taillée à la mesure du P.-O., elle conduit son voisin du méridional à reconsidérer son choix d'avant-guerre. Le Midi équipe donc son réseau en courant continu 1500 volts, Bordeaux - Hendaye, Bayonne - Toulouse, etc. De plus, soucieux d'intégrer son électrification dans un développement industriel régional, il participe à l'industrialisation de la Bigorre et de la région toulousaine. Par exemple, les 'Construction électriques de France' (CEF) installées à Tarbes en 1918 sont chargées de réaliser son appareillage de production et de traction et les fameuses BB Midi, archétype réussi des locomotives pour service mixte, bientôt adopté par les autres réseaux. Cependant, l'exploitation des Chemins de fer du Midi a donné du souci à sa tutelle. L'abandon de l'alternatif a majoré le coût d'une d'électrification dont le ministère des Travaux publics en vient à dénoncer l'irréalisme. Certes, mû par ses ambitions initiales il a peut être équipé exagérément ses petites lignes pyrénéennes, dont certaines aujourd'hui disparues, moyennant quoi, à la suite de la grande crise économique de 1929, il doit fusionner avec son grand voisin septentrional. Cependant, grâce au soutien des pouvoirs publics, notamment à la suite du plan Marquet de grands travaux pour lutter contre le chômage lancé en 1934, l'ensemble 'P.O.-Midi' continue l'oeuvre d'électrification du réseau Sud-Ouest jusqu'à achever celle de la ligne de Paris à Irùn, à la frontière espagnole. Quant aux autres réseaux, ils ont aussi réalisé leurs électrifications en 1500 continu, mais avec bien moins d'ampleur. Ainsi le PLM modernise la ligne alpine de Culoz à Modane par où transite l'essentiel du trafic franco-italien en l'équipant d'une alimentation par troisième rail, tandis que l'État électrifie la ligne Paris-Le Mans pour laquelle le recours au 1500 v. CC semble avoir été pour le première fois discutée (M. Garreau, 'L'état actuel de l'électrification des chemins de fer', RGCF, fév. 1938).
1938, les projets de la SNCF
Le
numéro spécial de la RGCF consacré au
congrès international des chemins de fer à Paris
(mai-juin 1937) fait la part belle à la traction électrique ou
thermo-électrique
L'électrification Paris Lyon a donc finalement été réalisée en 1,5 kV continu, mais, compte tenu de l'importance du projet, il semble que l'opportunité d'un changement de technique ait été soulevée au cours de la guerre. Plusieurs possibilités s'offrent pour remplacer le système Parodi : le continu 3 kV adopté par les Italiens et surtout l'alternatif à 16 2/3 Hz des Allemands. En effet, au lendemain de la défaite, la SNCF est placée sous l'étroit contrôle des autorités d'occupation et notamment de son homologue germanique, la Deutsche Reichsbahn. Or il semble que l'occupant veuille profiter de la situation pour introduire son système d'électrification sur les réseaux français et néerlandais, également électrifié en continu 1,5 kV. C'est ainsi qu'à la suite d'un curieux détour, l'attention portée par la SNCF au monophasé 50 Hz doit beaucoup aux circonstances et notamment aux idées de Louis Armand, un ingénieur entré au PLM peu avant la nationalisation et qui s'intéresse aux incidences économiques des modes de traction dans la gestion des chemins de fer, comme au relèvement économique du pays après la guerre. Dans un livre de souvenirs ('Propos ferroviaires', Paris, Fayard, 1969), Louis Armand a raconté comment, alors qu'il est devenu directeur du matériel et qu'il est entré en Résistance, il dut tergiverser au sujet de certains projets germaniques tel celui d'un super réseau européen à voie large électrifié en courant industriel (50 Hz). En effet, à la suite de certaines réalisations hongroises de l'ingénieur Kalmàn Kàndo dans les années 1920, il existe en Allemagne une petite ligne dans la Forêt Noire (Hollenthal) où la Reichsbahn essaye depuis 1936 la traction en monophasé à fréquence industrielle.
L'intérêt économique du monophasé à fréquence industrielle En effet, pour
l'exploitant ferroviaire, le premier intérêt du 50 Hz est
de puiser directement l'énergie nécessaire à
la traction auprès des grands fournisseurs
d'électricité, lui permettant ainsi d'envisager de
notables
économies en matière d'équipement. Rappelons
qu'en Allemagne, comme en
France, le développement d'un réseau de grand
transport d'énergie trahit
l'anachronisme de lignes hautes tensions
spécialisées à
l'usage du seul chemin de fer, le rail ne représentant que
3%
de la consommation électrique nationale. Envoyé en
mission en Allemagne en 1943, l'un des patrons de la firme
Schneider-Westinghouse, Paul de Giacomoni, publie
dans la 'Revue générale des chemins de fer' une courte
note
où il dresse le bilan économique encourageant des essais
réalisés sur la ligne du Hollenthal (RGCF, mai-juin 1943). Malgré cela et
pour des raisons techniques sur lesquelles on va revenir, la Reichsbahn
a
décidé
d'abandonner l'expérience . Au contraire, à la SNCF
une réunion se tient le 7 juin 1944 - le
lendemain du débarquement allié en Normandie - dont est
issue une note interne qui recommande l'installation « du 50 pps.
(périodes par seconde) sur
des lignes de trafic moyen dont l'électrification en continu
basse tension ne saurait se justifier, Clermont-Ferrand Nîmes par
exemple, pour lesquelles on pourra se contenter de locomotives moins
puissantes qu'avec l'ancien système [i.e. Parodi] » (note interne à la DG SNCF, service O, n° 4993, arch. A. Blanc) . Au
lendemain de la
guerre, aux côtés d'un Jean Monnet au Plan, Louis Armand qui vient
d'être nommé directeur général de la SNCF, apparait comme l'un des principaux modernisateurs du
secteur public français. Il estime que loin de
n'être que source de déficit, le rail recèle des
possibilités de productivité et des réserves
d'innovation susceptibles de servir à la croissance
économique nationale. A l'occasion du Congrès pour l'avancement des
sciences tenu à Biarritz en 1947, il rappelle qu'une
fois
achevé Paris Lyon en continu 1500 volts, il ne restera que
quelques
centaines de kilomètres à équiper sur le
réseau français avec ce système, soit moins de la
moitié des lignes susceptibles de l'être à moindre
coût (L. Armand, 'Problèmes techniques posés par la traction monophasée à 50 pp. et leur solutions', RGCF, fév. 1948). Or, le monophasé haute-tension devrait
permettre de réduire les investissements nécessaires
à une électrification ferroviaire en diminuant d'un
facteur dix le
nombre des sous-stations (installations d'ailleurs réduites pour
le 50 Hz à de simples postes de distribution) tandis que l'intensité réduite du courant alternatif haute tension permet
l'allégement de
le caténaire. Globalement, l'économie envisagée
est estimée à 50% de celui d'une
électrification à la Parodi.
La Division d'étude de la traction électrique (DETE) Mais auparavant,
il convient de lever certaines hypothèques techniques
liées à l'usage du 50 Hz en traction
ferroviaire auxquelles s'étaient heurtés les ingénieurs allemands. La
tâche incombe à la la DETE,
un service installé à la nationalisation, d'abord
dirigé par Maurice Villeneuve qui vient du P.-O., puis par
Marcel Garreau et Fernand Nouvion issus des Chemins de fer de
l'Etat.
La DETE est chargée de la normalisation du matériel issu
des anciennes compagnies et, surtout, des fonctions de recherche et
développement dévolues à la SNCF. Parmi les
problèmes posés aux ingénieurs, on
relève les conditions d'alimentation du chemin de fer à
partir du réseau de distribution général
d'électricité. La
ponction d'un courant monophasé sur un réseau
triphasé risque de provoquer des
déséquilibres entre phases occasionnant la gêne des
utilisateurs.
Après une série d'essais réalisés sur la
ligne du Höllenthal désormais située dans la zone
d'occupation française en Allemagne, la SNCF décide
de réaliser d'une ligne d'essais en France, comme l'avait fait
cinquante ans plus tôt les chemins de fer du Midi (cf. supra).
Délaissant la
Massif Central
initialement
envisagé, le
choix se porte sur la ligne
savoyarde d'Aix-les-Bains à la Roche-sur-Foron.
En 1950, sa mise sous tension en 20 puis 25 kV confirme la
nécessité de concevoir soigneusement le couplage du
chemin de fer au réseau EDF. Heureusement, la mise au point des
dispositions
adéquates bénéficie de l'enthousiasme des
électriciens qui n'hésitent pas à tester
leur réseau haute tension
en défaillance de phase. Une autre contrainte posée
par le 50 Hz concerne le fonctionnement des locomotives et , plus
précisément, la commutation des moteurs à
collecteurs . Rappelons qu'au début du
siècle, la difficulté avait fait adopter le
monophasé à fréquence spéciale en Europe
centrale. «Si
le monophasé à fréquence industrielle peut faire
ressortir une économie des coûts d'équipement par
rapport au continu, encore faut-il que cette simplification
apportée à l'alimentation ne rejette pas sur les
locomotives des difficultés susceptibles de manger le
bénéfice
» prévient Marcel Garreau (M. Garreau, 'Une électrification légère pour trains lourds', causerie X-cheminots, 31 janv. 1952).
Sur
le Höllental
avant-guerre, les
constructeurs allemands
avaient essayé diverses solutions : convertisseurs de fréquence,
redresseurs mono-continus (AEG, Brown Boveri), voire utilisation
directe du
50 Hz dans les
moteurs (Siemens). Mais alors que les locomotives à redresseurs
provoquaient d'importantes perturbations, des harmoniques
envoyées dans le réseau de distribution d'électricité HT,
la commutation de la machine à moteur direct n'avait jamais
donné satisfaction. Pour la ligne de Savoie, la DETE met donc en
concours la
réalisation de trois locomotives prototypes. Oerlikon et Alsthom
proposent chacun une machine
à
moteurs directs, MTE-Schneider une locomotive à groupes
tournants. La
première locomotive livrée à la SNCF, la CC 6051
à moteurs directs conçus par
l'ingénieur Pierre Leyvraz de la firme Oerlikon, est une machine
à six
essieux d'une centaine de tonnes pour plus de 4000 cv. A la grande
satistaction de Louis Armand, sa mise en
service prouve d'emblée que la traction nouvelle
s'inscrit dans le
cahier des charges fixé par la SNCF. Surtout, elle rassure sur
la fiabilité du moteur direct,
la
manière
la plus logique d'utiliser le courant alternatif, selon lui. Reste que
ce type de moteur présente certains
inconvénients, outre son origine étrangère dont l'origine helvète des
CC Oerlikon vaut quelques protestations syndicales le 10 avril 1947 au
conseil d'administration de la SNCF, les ingénieurs redoutent
une commutation délicate, cause d'un entretien
onéreux. Une autre
solution semble passer par l'usage de
redresseurs. Dans les sous stations fixes des lignes électrifiées, des
redresseurs à vapeur de mercure permettent de transformer
l'alternatif haute tension du réseau général en continu 1500 volts
destiné à la traction. L'initiative de monter un redresseur de ce type
dans une locomotive revient
à Jean Trollux, le directeur de la
division traction d'Alsthom qui décide d'appareiller ainsi
une
locomotive prélevée sur sa chaine de montage.
Certes l'installation se
révèle fragile, mais le protoptype (BB 8051)
prouve les qualités de l'ensemble
redresseur-transformateur pour alimenter des moteurs de facture
classique en courant continu. En fait, la
solution sera apportée par
l'ignitron, un redresseur statique à impulsion d'allumage
inventé par la firme Westinghouse dans les années 1930 pour
les
besoins de l'industrie électro-métallurgique. En 1947,
à
l'issue d'une mission d'étude technique menée aux
Etats-Unis, Marcel Garreau décide d'en équiper une
vieille automotrice
de la banlieue Saint Lazare affectée à la ligne de Savoie. Appareillée
par Schneider-Westinghouse, cet autre prototype (Z 9055) révèle les
performances prometteuses de l'électronique de puissance en traction
ferroviaire. Y. Machefert-Tassin présente un ignitron SW monté sur la Z 9055 (DR)
1951, le congrès d'Annecy et la construction européenne A l'automne 1951, Louis Armand décide d'organiser un congrès international d'électrotechnique à Annecy afin de dresser un premier bilan des essais réalisés en Savoie et d'évoquer les perspectives d'avenir du nouveau mode d'électrification. Il vient de déclarer au conseil d'administration de la SNCF que le chemin de fer est appelé à devenir l'épine dorsale de la Lotharingie industrielle. En cet immédiat après-guerre, l'unification européenne passe d'abord par la normalisation des relations franco-allemandes. Une fois repoussées les prétentions d'annexion de la rive gauche du Rhin, puis de la Sarre par la France, l'année 1949 a vu la naissance de la République fédérale allemande et les débuts de l'unification européenne, tandis que la 'Deutsche Bundesbahn' (DB) a remplacé la Reichsbahn. Le ministre français de l'Économie, André Philip, saisit l'Assemblée consultative du conseil de l'Europe d'un projet de coordination des industries de base et des transports de la région Ruhr - Sarre - Lorraine. Puis, le ministre français des Affaires étrangères, Robert Schuman, propose la création d'une Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), première étape comme l'on sait vers le Marché commun. Ainsi, le congrès d'Annecy réunit les constructeurs, les exploitants et des représentants des pouvoirs publics dans la perspective de la construction européenne. Le secrétaire d'État aux Transports allemand, le dr. Fröhne, y rencontre son homologue français le secrétaire général du ministère des Travaux publics, (ing. gen. Dorges) et il demande que «...le congrès aborde non seulement des questions techniques, mais aussi des questions politiques. Il s'agit d'unifier l'Europe en supprimant les frontières électriques entre réseaux ferrés ». Du côté des exploitants, le dr. Ing. Peters représente les Chemins de fer allemands (Deutsche Bundesbahn), le dr. Ing. Meyer les Chemins de fer fédéraux suisses (CFF), le dr. ing. Musquar les Chemins de fer luxembourgeois (CFL). Roger Gaspard le directeur général d'EDF vient à Annecy comme le dr. Schwering son homologue de la Société d'électricité de la Ruhr, etc. Les constructeurs électriciens sont évidemment présents : AEG, Alsthom, les Ateliers de construction électrique de Charleroi, Brown Boveri, Schneider, Oerlikon, Siemens, Westinghouse dont le directeur, H.F.Brown, est venu spécialement en Europe pour présenter les fameux ignitrons. Dans son discours d'ouverture, Louis Armand rappelle les avantages économiques d'une électrification ferroviaire en courant industriel et propose rien de moins qu'une fusion des chemins de fer européens autour de la nouvelle technique d'électrification ferroviaire : «tous les moyens de transports devront concourir la constitution de l'Europe unie. Dans cette tâche, il est d'autant moins question d'éliminer le rail que, seul, il peut remplir les obligations d'un grand service public» dit-il ('L'électrification en courant monophasé à 50 périodes et les journées techniques d'information d'Annecy les 12-15 oct. 1951, RGCF, nov. 1951).
1955, mise sous tension de la ligne Valenciennes Thionville L'électrification
de la
ligne de Valenciennes à Thionville et de cette dernière
localité à Koblenz en
Allemagne est donc prévue par la signature, le 10 février
1951, d'un protocole entre la DB, les 'Chemins de fer luxembourgeois' (CFL) et la SNCF.
Nonobstant, le projet d'unifier l'électrification
des chemins de fer ouest-européens en monophasé 50 Hz se
heurte bientôt à de sérieuses réticences. En
France
d'abord, il est
contesté par
Hippolyte Parodi, qui a dénoncé à Annecy : «...la remise en cause, à
l'issue d'une étrange discussion, d'un dispositif (le
1500
volts continu) que
l'on pensait définitivement adopté après la guerre
de 1914-18, contre le système allemand et suisse.../ Même
les Allemands ont adopté le continu pour les banlieues de
Hambourg et de Berlin(S-Bahn)
» insiste l'ancien
électricien du P.-O. récemment élu à
l'Académie des sciences (H. Parodi, 'De l'électrification en courant
continu 1500 volts à l'électrification en courant monophasé 50 Hz, RGCF, nov. 1951). De fait, en Suisse comme en
Allemagne, les exploitants se révèlent peu soucieux
d'abandonner
leur système d'électrification à
fréquence spéciale. Alors que la DB est sur le
point de lancer un ambitieux programme d'électrification
destiné à évincer la vapeur de son réseau
ferré,
son patron, le dr. Peters, rappelle son peu d'enthousiasme pour les
essais du Höllental «...le
16 2/3 a fait ses preuves
et confirmé son utilité économique en Allemagne, dit-il. Si
les Chemins de fer allemands, faisant preuve d'une grande largeur
d'esprit se sont déclarés prêts à
étudier en relation avec la SNCF la ligne Valenciennes-Trier
(Trêves)-Koblenz, ils ne croient pas pouvoir en tirer qu'un bilan
d'électrification en cinquante périodes se
présente mieux qu'en 16 2/3» . Quant au dr. Meyer,
directeur
aux Chemins de fer fédéraux suisses, il confirme que «...son
pays reste très content du 16 2/3 » ((M.
Peters, 'L'électrification en Allemagne et les projets de la SNCF' et
pr. Fröhne 'L'unification de l'Europe et le congrès d'Annecy'
(discussions et débats), ibid.). Ainsi, malgré quelques
ultimes discussions, notamment à
propos de l'électrification des lignes de la Ruhr, les
Allemands ne reviendront pas sur leur position. Dans
l'immédiat l'électrification en courant
à fréquence industrielle concerne donc uniquement
l'artère
Valenciennes Thionville, puis peu après les Chemins de
Fer
Luxembourgeois. L'alimentation électrique de la
transversale du Nord-Est est assurée par les centrales des
houillères. Elle répond à l'ambition de la
SNCF de supprimer la traction vapeur sur une ligne de profil difficile
qui voit le plus fort trafic de fret sur le
réseau français (minerai de fer, coke, produits
sidérurgiques). Pour assurer le trafic lourd, la SNCF
décide d'adopter une technologie éprouvée - celles
des groupes convertisseurs mono-continu ou mon- triphasé, les CC 14000 et 14100 - afin de disposer de
locomotives aptes à enlever des tonnages élevés, mais qui n'ont pas besoin de courir vite. Malgré tout, le passage
de la
vapeur à l'électricité ne va pas sans provoquer
l'inquiétude du directeur de la
région Nord de la SNCF qui hésite à les substituer à
ses bonne vieilles locos à vapeur et suggère de tendre
d'abord la
caténaire du 50 Hz sur la banlieue parisienne. Ce que l'on fera, comme l'on sait, mais plus tard. Pour la ligne du Nord-Est, des
machines plus légères de type BB sont prévues pour
assurer le trafic messagerie voyageur : une
quinzaine de locomotives
à moteurs directs (BB 13000) et
cinq à ignitrons (BB 12000). Or, les premiers essais de ces dernières révèlent, outre la quasi innocuité de leurs
redresseurs sur le réseau EDF, leurs extraordinaires
capacités d'adhérence,
pratiquement le double de ce qu'imaginaient les ingénieurs. A
l'occasion, l'une de ces machines décolle une rame
de 1600 tonnes en rampes de onze pour mille, commentant le succès des redresseurs statiques, Marcel
Garreau soulignera dans ses cahiers techniques « ...que le moteur à
courant continu se révéle
capable d'avaler les ondulations du courant redressé, en fait du
cent périodes, beaucoup plus facilement qu'on ne l'imaginait» (Journal technique de M. Garreau, aimablement communiqué par m. André Blanc.)
Pour
autant, la réussite de l'électrification du
nord-est ne solde pas le débat franco-allemand. Dans un
numéro spécial de la 'Revue générale des
chemins de fer' consacré aux journées d'information de
Lille en mai 1955, la DETE dresse un premier bilan de
l'exploitation de la ligne Valencienness Thionville. Marcel
Garreau a comparé le coût de son électrification
avec ce qu'il aurait été si celle ci avait
été effectué en 16 2/3, pour en déduire un
bénéfice des deux tiers en équipement et de 10% en
exploitation au bénéfice du nouveau système.
Evidemment, ces chiffres sont récusés par les
ingénieurs allemands, dans un véritable droit de réponse publié par la revue 'Elektrische Bahnen' : « il
(leur) semble peu vraisemblable que le coût réel d'exploitation
d'un réseau de production transport d'énergie propre au
chemin de fer (i.e. en 16 2/3) soit supérieur à
celui d'une partie d'un réseau public affecté
à cette tâche. C'est même à ce niveau que les
choses s'enveniment puisque le 50 Hz requiert des sectionnements de
caténaire et des transformateurs spéciaux (les
groupes Scott destinés à rétablir l'équilibre du réseau triphasé),
donc des solutions simplistes pour une électrification spartiate».
De plus, contestant les performances exceptionnelles des
nouvelles locomotives, les ingénieurs allemands s'indignent d'entendre
leurs confrères français affirmer que des machines à quatre essieux en
50
Hz équipées de redresseurs seraient supérieures
à leurs locomotives à six essieux en 16 2/3. Aussi les
cousins germains prétendent ne voir que 'tromperie' dans les arguments
de leurs voisins gaulois (M. Garreau, 'Bilans comparés des
différents systèmes de traction électrique, l'électrification en
courant monophasé 50 Hz de la ligne de Valenciennes à Thionville et les
journées d'information de Lille (11-14 mai1955)', RGCF,
juillet 1955 et la réponse de ses collègues
allemands,‘Stellungnahm des Deutsche Bundesbahn zu den Worträgen auf
des Informationstagung des Franszösischen Staatsbanhnen in Lille vom
11.bis 14 Mai 1955', Elektrische Bahnen, mai 1956).
Technique
universelle et filières nationales En
fait, s'il est peu contestable qu'au moment de cette polémique, le
cinquante période a assuré sa supériorité technique et économique sur
son rival, disons que sa cause fut peut-être plaidée de manière
maladroite. L’idée évoquée en 1951 d'une extension Thionville-Coblence
rappellait certaines visées annexionnistes gauloises sur la rive gauche
du Rhin évoquées dans l’immédiat après-guerre. De plus, les Allemands
pouvaient s'étonner de voir leurs interlocuteurs prétendre leur imposer
un système d’abord essayé chez eux, mais qui auraient introduit sur
leur réseau des frontières techniques que ne manqueraient pas de
rencontrer les Français sur le leur. Tout ceci pour ne rien dire des
effets d'un chauvinisme technique demeuré si vif de part et d'autre du
Rhin, qu'aujourd'hui encore la Deutsche Bahn a obtenu de réserver sa
place à la fréquence spéciale dans les spécifications techniques
d'interopérabilité européenne. Une disposition d'autant plus absurde
souligne André Blanc, un ancien directeur du matériel à la SNCF, que
les progrès de l'électrotechnique font qu’aujourd’hui les nouvelles
locos en 16 2/3 sont équipées de moteurs synchrones ou asynchrones à
courant redressé, ce qui annule l'intérêt de garder un courant de
fréquence spéciale adopé au début du siècle dernier pour alimenter des
moteurs directs. Quant à l'extension du monophasé 50 Hz, les
progrès de
l'électrotechnique grâce à la mise au point de machines bi puis
poly-courants parformantes, ont permis de compléter l'électrification
du
réseau SNCF en bénéficiant bientôt du développement
d'une production électrique d'origine nucléaire. En définitive, si
Lyon-Marseille a été
électrifié en continu 1500
volts, Marseille-Vintimille vers l'Italie le sera en 50 Hz, de
même que les prolongements du 1500 volts de Dôle-Vallorbe vers
la Suisse,
les lignes de Bretagne depuis Le Mans vers Rennes, Brest et Quimper,
etc. En avril 1954, l 'universalité de ce système d'électrification
incite les ingénieurs de la DETE
à
constituer un 'Groupement cinquante périodes'
en vue de réunir les
constructeurs allemands, belges, français et suisses ayant participé
aux essais de l'après-guerre. Le Groupement réalisera
ainsi l'électrification de la banlieue d'Istamboul, la
construction de locomotives destinées à l'URSS et à la Chine,
participant à l'électrification des chemins de fer portugais et au
Moyen-Orient assurant le pilotage de l'électrification des 'Indian
Railways'. En fait, dans les années 1970, le Groupement détiendra plus
des deux tiers des
marchés d'électrifications ferroviaires signés hors de la Communauté
européenne et il n'a évidemment pas peu contribué à donner à
l'industrie
ferroviaire française une réputation et une place enviable sur le
marché mondial. Aujourd'hui, le 50 Hz s'applique aussi bien au TGV ou du Shinkansen japonais, qu'au RER parisien ou au trafic
marchandise de la 'Betuweroute' des
chemins
de fers hollandais. Reste que l'Allemagne qui a
développé son propre
réseau de trains électriques à grande vitesse est restée fidèle à
l'alternatif 16 2/3. Cette histoire révèle donc peut-être aussi ce que
l'innovation doit à une tradition de filières techniques que l'on peut
rencontrer dans d'autres domaines comme l'énergie
nucléaire, l'aérospatiale, voire les
télécommunications.
|