Jean-François Picard, reprint de
Correspondances, n° 29, déc. 2006.
La Compagnie du PLM n'a jamais été
réputé pour son rôle majeur dans
l'électrification des chemins de fer, le souci d'une gestion
serrée l'ayant poussée à privilégier la
traction thermique économe en investissements, que ce soit en
vapeur avec le type 'mountain' et autre 'santa fe' ou en diesel avec
les autorails ou les impressionnantes diesels-électriques de
ligne (262 AD et BD). Néanmoins, en 1920, alors que la
pénurie de charbon suscite des projets d'aménagement de
la houille blanche dans le sud montagneux de la France, ce
réseau qui dessert l'ensemble des Alpes accepte de s'inscrire
aux cotés du P.-O. et du Midi dans l'ambitieux programme
d'électrification ferroviaire lancé par le
ministère des Travaux publics. Il retient
l'électrification des principales artères situées
au sud de Lyon et concerne 2800 Km de lignes tandis que le
numéro deux de son service Matériel et Traction, Marcel
Japiot participe à la mission technique chapeautée par
Hippolyte Parodi, l'homme du P.-O. Mais vingt ans plus tard, à
la naissance de la SNCF, alors que les chemins de fer français
comptent déjà plus de 3000 Km de lignes
électrifiées, le PLM ne peut revendiquer que
l'équipement des 135 Km de Culoz à Modane et la trentaine
de kilomètres de la petite ligne à voie métrique
de Saint Gervais à Vallorcine.
cl. Y. Broncard
En fait, à l'aube du vingtième
siècle, la compagnie a
participé aux premiers essais d'électrification
ferroviaire. Elle a d'abord équipé la petite ligne
de Chamonix (Saint Gervais à
Vallorcine sur la frontière Suisse). Contemporaine du
métro parisien, son électrification conçue
par
l'ingénieur Auvert est alimentée par des chutes
aménagées par le PLM dans la vallée de l'Arve et
distribuée par un troisième rail en continu 750 volts. Puis, en 1905, Auvert et son collègue Ferrand
entreprennent des essais de traction en voie normale et sous
caténaire sur une courte section de la ligne Cannes - Grasse.
Cette fois ci, le PLM décide d'acheter son
électricité à l'industrie auprès de
l''Energie électrique du Littoral Méditerranéen '
(EELM), d'où le recours au courant alternatif à 25 Hz
distribué par cette société dans le sud-est de la
France.
La locomotive à convertisseurs Auvert & Ferrand essayée sous caténaire monophasée sur un
court tronçon de la ligne Cannes Grasse (La Nature, 10 juin 1911)
Mais ce système est bientôt condamné par
normalisation technique imposée par les pouvoirs publics autour
du 1500 volts continu. Ainsi, en novembre 1923, Marcel Japiot
présente dans la 'Revue Générale des Chemins de
Fer' une 'note sur l'électrification partielle du réseau
PLM' en 1500 volts continu, notamment la ligne de la Maurienne et celle
de la Cote d'Azur (dite ligne du littoral). Sur cette dernière,
la question est de savoir où implanter le passage de la traction
vapeur à la traction électrique, à Cannes, aux
Arcs ou à Carnoules à une centaine de kilomètres
de Marseille ? En fait, ces atermoiements trahissent
l'indécision du PLM et sont probablement fatals à
l'équipement de ligne du littoral dont l'électrification
ne sera réalisée qu'un demi-siècle plus tard par
la SNCF en alternatif 25 kV - 50 Hz. Quant à la ligne de la
Maurienne, elle a été retenue comme champ
d'expérience parce que, de Culoz à Saint Pierre
d'Albigny, elle présente les caractéristiques d'un profil
de plaine (10‰ de rampe maxi), tandis qu'au-delà de Saint
Michel de Maurienne jusqu'à Modane, il s'agit d'une ligne de
montagne avec des rampes très dures de 30‰. Cette ligne
est aussi un maillon essentiel de l'axe Paris - Rome, donc pour les
échanges entre la France et l'Italie. D'ailleurs, de Modane
à Turin via le tunnel du Mont Cenis, la plus ancienne des
percées alpines ouverte en 1871, a été
électrifiée en 1917 en courant triphasé 3,6 kV
à 16 2/3Hz. Ainsi, la future gare bicourant de Modane verra
circuler des locos triphasées des Ferrovie dello Stato (FS) plus
de dix ans avant les locos électriques du PLM. Comme en Italie,
mais contrairement à son voisin du Midi, le PLM a
décidé de faire appel à l'industrie privée
pour ses fournitures d'énergie. Il considère que
l'exploitation d'usines spécialisées pour la production
d'énergie destinée à la traction n'est
satisfaisant que pour faire face aux besoins d'un ensemble de lignes
très important. En 1921 la Cie passe donc une convention avec la
Compagnie des Forges et Aciéries électriques Paul Girod,
l'un des pôles de l'industrie électrométallurgie du
bassin d'Ugine. Grâce à ses sept centrales
hydroélectriques de l'Arly, du Doron de Beaufort et du Bonnant
et à l'aménagement du lac de la Girotte, la
société Paul Girod fournira les 15 MW nécessaires
à l'alimentation des huit sous stations de la ligne de la
Maurienne. La section Chambéry Saint Pierre d'Albigny est mise
sous tension en 1925 et Modane atteint en 1930.
A Modane, première gare française bi-courant, dans les années 1970 deux E 620
italiennes sous la caténaire triphasée (modifiée
pour le 3 kV continu) longent le troisième rail 1500 volts (DR)
Pour distribuer le 1500 volts à ses locomotives, le choix se
porte sur le troisième rail. Japiot justifie ce dispositif en
soulignant que si l'on veut obtenir avec la caténaire des chutes
de tension aussi faible qu'avec le troisième rail, on est
finalement conduit à un investissement équivalent. Mais
la simplicité des opérations de pose, de surveillance et
d'entretien du troisième rail semble être le meilleur
argument en sa faveur selon des dispositions déjà
testés sur la petite ligne de Chamonix, voire au métro
parisien. De plus, il permet de tourner les inconvénients dus
à la circulation de locomotives à vapeur sur les lignes
électrifiées, les dépôts de suie sur la
caténaire du Saint Gothard semblant avoir causé quelques
soucis aux chemins de fer suisses. Bien sûr, le rail de contact
posé au sol crée un obstacle dangereux pour la
circulation du personnel, mais on peut le réduire en
l'implantant dans l'entrevoie en pleine ligne et en le munissant d'un
dispositif de protection sous forme de coffrages en bois. Dans les
gares, on remplace le rail d'alimentation par un fil aérien, les
machines étant équipées de pantographes, sauf
à Modane où la ligne de contact double est
réservée au triphasé italien. Evidemment, ce
troisième rail doit présenter des lacunes au
franchissement des passages à niveau ou des appareils de voies
(16 mètres de coupure), mais ceci ne présente pas
d'inconvénient grâce à l'empattement
électrique des longues locomotives appelées à
circuler sur la Maurienne. Néanmoins, en 1935, le tronçon
Chambéry - Culoz électrifiée dans le cadre du plan
Marquet sera équipée en caténaire. Quant à
la section Chambéry - Modane, siège pendant un demi
siècle de cette curiosité technique, elle sera finalement
' caténairisée ' en 1976, mais toujours en 1500 V continu.
Le troisième rail en gare de Saint Jean de
Maurienne, remarquer à droite le panneau de danger au
droit de la traversée pour piétons (cliché Muller)
En matière de traction, le PLM ne disposant pas de
bureaux d'études dédiés à
l'électrotechnique, la compagnie confie un cahier des charges
aux constructeurs en leur laissant le soin, sauf exception, de
concevoir les machines dont l'exploitation aura besoin. Dans leur
partie mécanique, la structure des machines de la Maurienne est
assez classique, caractérisée par l'articulation de deux
ou plusieurs trucks où se répartissent les essieux
moteurs et les essieux porteurs, le tout formant un ensemble d'une ou
deux caisses accouplées d'une vingtaine de mètres de
long. Destinées au service des trains express, en 1922 trois
machines à quatre essieux moteurs (242 AE, BE, CE selon la
numérotation PLM adoptée pour les locos à vapeur )
sont commandées à l'Alsacienne de construction
mécanique, à Batignolles et à Oerlikon pour la
partie électrique (moteurs doubles, transmissions à
biellettes et à ressorts). Enfin, une machine à six
essieux moteurs 1AB+BA1 (161 BE) sur plans General Electric, est
construite par une 'Société d'études pour
l'électrification des chemins de fer français', un
consortium qui regroupe la Thomson-Houston (CFTH), les
sociétés Schneider et Jeumont. Elle annonce la commande
à partir de 1927-1928 d'une trentaine de locomotives
ventilée en trois séries destinées au service
marchandise et au renfort dans les rampes de haute Maurienne : les 161
BE bi caisses par le consortium CFTH-Jeumont-Schneider, les 161 DE bi
caisses à petits capots des CEM - Fives Lille, enfin les 161 CE
mono caisses qui proviennent de l'usine tarbaise des Construction
Electriques de France. Toutes ces locomotives sont
équipées du freinage par récupération.
Dans les années 1970, une 1CC1 en pousse démarre de Saint Jean de Maurienne (photochemindefer)
En 1929, Marcel Japiot présente dans la Revue
générale des chemins de fer l'aboutissement des projets
d'électrification du PLM, les fameuses 262 AE qui était
destinées, en théorie, à la ligne du littoral. La
direction de l'exploitation estime en effet que la ligne de la
Côte requiert des locomotives plus puissantes que les '242' de la
Maurienne, voire que les premières mountains qui commencent
à y circuler. Le cahier des charges soumis au groupement
Batignolles-Oerlikon stipule la traction d'un train de 600 t. à
90 Km/h en rampe de 8 ‰. Selon la formule classique retenue par
le PLM, ces dinosaures du rail se présentent sous forme de deux
trucks (2C+C2) sur lesquels repose une caisse unique de 24
mètres formée d'une poutre tubulaire : « (il
s'agit) d'un
mode de construction évidemment plus compliqué que celui
utilisé par les Américains qui consiste à monter
la caisse sur un robuste châssis monobloc en acier moulé, explique Marcel Japiot, mais qui présente l'avantage d'aboutir à une caisse beaucoup plus légère ».
Reste qu'une 262 AE accuse le poids respectable de 160 tonnes, soit
celui d'une mountain et de son tender approvisionné en
délivrant, il est vrai, le double de puissance de sa rivale
à vapeur. Avec plus de 5000 CV, en régime unihoraire,
cette machine revendique à l'époque un record
européen en matière de traction. Néanmoins le
souci d'économie du PLM fait que cette série de quatre
locos n'est pas dotée du freinage par
récupération, ceci «…afin de ne pas
compliquer outre mesure l'équipement électrique et pour
ne pas augmenter encore le poids et le prix, tous deux respectables, de
la machine en question » précise l'ingénieur.

une 2CC2 en gare de chambéry (cliché Muller)
Au vrai, les raisons pour lesquelles le PLM s'est
révélé si modérément
électricien semblent moins relever d'arguments
stratégiques - on a beaucoup parlé des réticences
de l'Etat-major vis-à-vis de l'équipement des lignes de
chemin de fer proches des frontières - qu'à sa prudence
en matière d'investissements. Contrairement à ses voisins
suisse ou du P.-O. Midi, le PLM n'a pas voulu se doter de
capacités de production et de transport
d'électricité, aussi n'a t il jamais poussé le
projet d'électrifier l'artère impériale, la ligne
Paris-Lyon-Marseille. En 1921, l'aménagement
hydro-électrique du Rhône est confié à une
société d'économie mixte, la 'Compagnie nationale
du Rhône', dont le PLM est amené à souscrire le
quart du capital. Mais devant les projets d'aménagements du
fleuve avancés par la CNR, le PLM freine des quatre fers par
crainte, semble-t-il, de voir ressurgir la concurrence de la batellerie
entre la Bourgogne et la Méditerranée qu'il avait
réussi à évincer au siècle
précédent. En fait, l'ouverture du chantier de
Génissiat dans l'Ain n'interviendra qu'une quinzaine
d'années plus tard, ce grand barrage n'étant livré
à l'exploitation qu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Mais, à la veille du conflit, l'électrification de la
ligne Paris - Lyon paraissait suffisamment urgente pour s'inscrire en
première place dans le tout premier programme
d'équipement de la jeune SNCF.