Le plan Marquet et la modernisation des transports (1934-1938)
Reprint d'un article de J.-F. Picard 'Le Plan Marquet et l'lectrification des chemins de fer' in Correspondances n”30, janv 2006
Dans l'entre-deux-guerres, l'lectrification de la ligne Paris-Le Mans a t lÕaxe majeur dÕun programme dÕquipement plus connu sous le nom de Plan Marquet de lutte contre le chmage. Le ministre du Travail, Adrien Marquet (1884-1955), maire de Bordeaux pendant vingt ans, deux fois ministres sous la III” Rpublique, a suivi un parcours lÕa en effet conduit du socialisme SFIO lÕextrme droite fascisante. LorsquÕil est lu la mairie de Bordeaux en 1925, puis dput de la Gironde avec la majorit du cartel des Gauches, proccup par le dveloppement conomique de sa ville comme par la question sociale, il lance un programme dÕurbanisme dont la 'belle endormie' conserve aujourdÕhui la marque. CÕest ainsi quÕapparaissent les premiers entrepts-terrasses en bton sur les quais de la Garonne en face des Quinconces, la nouvelle Bourse du Travail sur le cours Aristide Briand, le stade Lescure, un ensemble de btiments de style art dco qui ne dpare pas lÕarchitecture classique de la ville. Il a aussi bti des HLM et modernis la voierie du quartier ouvrier de Baccalan o il installe la rgie municipale du gaz et d'lectricit. Symbole de progrs, la consommation lectrique de Bordeaux triple de 1920 1938 tandis que le port autonome voit sa vocation ocanique assure par la construction des appontements du Verdon relis la ville par la ligne du Mdoc, lectrifie en 1934.
Le mole du Verdon peu aprs sa mise en service. Cette installation dtruite pendant la seconde guerre mondiale n'existe plus (cl. Tilo)
En 1929, le krach de Wall Street et la crise qui sÕensuit ont engendr la rcession des conomies et la monte du chmage. En France, ses consquences suscitent des dbats passionns. Au parti socialiste SFIO, tandis que les majoritaires sous la houlette de Lon Blum fustigent un capitalisme sauvage responsable de la dbcle financire, un courant Ōno-socialisteÕ anim par Marcel Dat et Adrien Marquet prne un dirigisme muscl susceptible de sortir le pays de la crise. Inquiet de la monte du fascisme en Europe, lors du congrs SFIO de 1933, Lon Blum se dit Ē pouvant Č par lÕintervention du dput-maire de Bordeaux qu'il a plac sous les mots Ē dÕordre, d'autorit et de NationČ, moyennant quoi les majoritaires excluent les ŌnosÕ, Marquet et Dat.
Debout g., Adrien Marquet, dr., Lon Blum (DR)
Survient le 6 fvrier 1934, lÕmeute provoques par les drives affairistes de la Troisime Rpublique provoque la chute du gouvernement Daladier, auquel succde le conservateur Gaston Doumergue. Au grand dam de ses camarades, Adrien Marquet accepte le portefeuille de ministre du Travail dans un gouvernement de droite. CÕest alors quÕil lance son plan de lutte contre le chmage inspir par certaines ralisations trangres. En fait, il semble moins tre influenc par la monte du national-socialisme en Allemagne ou du fascisme mussolinien que par la politique de ŌNew DealÕ mene aux Etats-Unis la suite de la crise conomique. Il a dÕailleurs fait plusieurs voyages outre-Atlantique o il a t reu par le prsident Roosevelt dont il a not le souci de remettre lÕAmrique au travail grce des grands chantiers financs sur fonds publics, comme les amnagements hydrolectriques de la 'Tennessee Valley Authority' ou lÕlectrification de la ligne Philadelphie-Washington du 'Pennsylvania RR'.
Dans les annes 1930, une des nouvelles GG1 du Pennsylvania quitte Washington pour Philadelphie (coll. Kalmbach)
Le 15 mai 1934, Adrien Marquet adresse un rapport au prsident de la Rpublique dans lequel il prsente un plan de grands travaux " Édont lÕexcution ranimera non seulement les industries bnficiaires de commandes nouvelles, dit-il, mais encore l'conomie nationale tout entire. Ė ce titre, il constituera le meilleur remde contre le chmage. Comme les besoins de la trsorerie nous interdisent tout appel direct l'emprunt, nous avons song utiliser les disponibilits de la Caisse gnrale de garantie des caisses de capitalisation prvues par la loi qui a cr les assurances sociales (1930). Les bnficiaires de cette loi ne peuvent qu'approuver une mesure qui leur garantit un placement sur et rmunrateur des cotisations verses, tout en associant patrons et ouvriers une oeuvre de solidarit". Les chantiers retenus au titre du plan Marquet sont slectionns par une commission mise en place au ministre du Travail o sige une commission technique prside par un cheminot, Raoul Dautry (1880 Š 1951). Autre personnage emblmatique dans lÕhistoire des chemins de fer, Dautry a quitt dix ans plus tt la Cie. des chemins de fer du Nord pour prendre en 1928 la direction gnrale de ceux de lÕÕEtatÕ o il a lanc un programme de modernisation de lÕancienne compagnie de lÕOuest tombe en pleine dcrpitude.
Inauguration de la nouvelle gare du Havre. De g. dr. : Raoul Dautry, Ren Coty, maire du Havre et futur prsident de la IVme Rpublique, le snateur R. Meyer. (DR)
En mai 1934, le ministre du Travail fixe un budget de 2,6 milliards de francs : 1,3 milliard pour lÕlectrification des chemins de fer, 760 millions pour la modernisation de la signalisation en blocks automatiques, 550 millions pour les amnagements de voies, de leur ct les grandes compagnies tant incites emprunter une somme quivalente. Une enveloppe de 355 millions de francs est rserve au dveloppement du rseau dÕinterconnexion trs haute tension. Enfin, un arrt ministriel stipule lÕinterdiction pour les entrepreneurs adjudicataires dÕemployer de la main d'Ļuvre trangre et lÕobligation pour les exploitants de commander du matriel de construction franaise. Le Plan Marquet a donc essentiellement concern les grands rseaux de chemin de fer, celui de lÕEtat, le P.-O.-Midi et accessoirement le PLM qui dcide dÕlectrifier par catnaire et non plus par troisime rail la section Culoz Chambry de la ligne de la Maurienne.(DR)
Sur les chemins de fer de lÕEtat, lÕlectrification de la ligne Paris Le-Mans concide avec des grands travaux de gnie civil lancs par Dautry. Afin de moderniser les infrastructures au dpart de Paris-Montparnasse. En 1932-33, une nouvelle gare grandes lignes est amnage avenue du Maine Paris, tandis que lÕon procde au quadruplement des voies jusquÕ Trappes pour rserver ses deux files centrales au trafic de banlieue et les deux extrieures aux trains directs. Outre les travaux de terrassement ncessaires pour insrer ces quatre voies dans le plateau de Vanves et raliser lÕlargissement du viaduc de Meudon, Dautry fait reconstruire les gares de Bellevue, de Chaville et surtout de Versailles-Chantiers, toutes dans le style de l'poque que permet le mariage dÕune architecture fonctionnelle et des techniques du bton arm. Les travaux dÕlectrification de la ligne Paris-Le Mans sont prsents la commission en aot 1934 et sont lancs au mois de novembre suivant. Ils concernent lÕquipement des 212 Km de la ligne Paris-Le Mans choisie de prfrence Paris-Le Havre car elle offre l'opportunit de moderniser la banlieue Montparnasse tout en amliorant les conditions du trafic vers la Bretagne. Pour la mener bien, Dautry a recrut un ingnieur X-tlcom, Marcel Garreau, lequel voque dans la ŌRevue gnrale des chemins de ferÕ les diffrents systmes dÕlectrifications ferroviaires adopts en Europe : le 1500 volts continu en France, lÕalternatif haute tension frquence 16 2/3 des Suisses et des Allemands, le 3 kV continu des Italiens, voire les expriences ralises en Hongrie en monophas 50 priodes. Sans enthousiasme, semble-il, Garreau se rallie au Ōsystme ParodiÕ dont il connat le cot dÕquipement lev : Ēsi seul le choix technique avait jou, le continu 3000 volts aurait t prfr au 1500 volts. Mais les interconnexions avec le P.-O. pour l'utilisation du matriel roulant l'ont fait carter sans discussion. On en a d'ailleurs tir prtexte pour quiper la ligne du Mans plutt que celle du HavreČ (RGCF, avril 1938). Le courant de traction est fourni par une ligne 220 kV tire entre les centrales du Massif Central et Arnage, ce qui boucle le rseau de transport THT lÕouest du territoire national lequel alimente en 90 kV les treize sous-stations de la ligne quips de redresseurs vapeur de mercure. Ces dispositions autorisent leur tlcommande depuis un poste centralis implant Paris-Vaugirard, le trafic tant rgul par un block automatique lumineux et des garages actifs, de courtes sections quatre voies au-del de Trappes qui permettent le dpassement des trains.
Sous station automatise sur la ligne Paris-Le mans (cl. CEM)
En matire de traction, lÕÕEtatÕ fait appel des technologies prouves. Pour celle des rapides et des express, le choix se porte sur la duplication des fameuses 2D2 Ō500Õ du P.-O.. Vingt-deux locomotives sont commandes Fives-Lille et la Cie Electro-Mcanique. Pour les services mixtes, lÕÕEtatÕ fait appel aux ralisations du Midi et trente-quatre locomotives de type BB sont livres en 1936-37 par lÕusine tarbaise des CEF-Alsthom.
Le chaine de montage des BB 'Etat' l'usine de Smac en septembre 1936 (cl. Alsthom)
En fait, Dautry a cherch faire bnficier la banlieue des plus rcentes innovations techniques avec, notamment, les clbres automotrices ŌBuddÕ - du nom du procd amricain des caisses soudes en acier inox - emblmatiques de sa volont de modernisation. La vingtaine dÕengins livrs par Carel Fouch en 1938 reprsente alors le nec plus ultra dans le monde pour un matriel de banlieue. Il sÕagit dÕautomotrices doubles adhrence totale qui reposent sur trois bogies moteurs et sont aptes former des rames de plusieurs lments grce leur attelage automatique. Signalons aussi la commande passe Alsthom-Oerlikon de cinq automotrices dites de ŌramassageÕ qui reprsentent une tentative originale de desserte rgionale entre Chartres et Le Mans. Destines aux circulations omnibus, celles-ci sont capables dÕacclrer rapidement jusquÕ la vitesse limite de la ligne afin de sÕinsrer dans le graphique de circulation des express. Les travaux rondement mens permettent les premires circulations sous catnaire entre Versailles et La Loupe au dbut de 1937, puis lÕinauguration de lÕensemble le 22 mai 1937, marque le renouveau des ŌChemins de fer de lÕEtatÕ, sur le point de former la Rgion Ouest de la SNCF.
Dans la tranche du plateau de Vanves, une rame Budd se dirige vers Versailles Chantiers (cl. Broncard, LVDR)
Sur le P.-O.-Midi, le plan Marquet permet dÕinstaller le block automatique entre Brtigny et Orlans, dÕamnager la traverse ferroviaire de Nantes et surtout de complter la lacune dÕlectrification sur la ligne de Paris Irun en Espagne. En novembre 1935, le P.-O. reoit lÕautorisation dÕengager lÕlectrification des 347 Km de la section Tours-Bordeaux quÕil est prvu dÕalimenter par une ligne 150 kV connecte Pessac avec le rseau de lÕÕUnion des producteurs dÕlectricit des Pyrnes occidentalesÕ (UPEPO). Les travaux entrepris au cours de l't 1936 sont achevs lÕanne suivante, "malgr les mouvements sociaux qui ont perturb lÕactivit des chantiers" relve la ŌRevue gnrale des chemins de ferÕ (fvrier 1939) . Ainsi, le 13 dcembre 1937, le premier Sud Express en traction lectrique relie Paris Hendaye. Pour complter son parc, le P.-O.-Midi commande de 16 nouvelles 2D2 (E 700) et 24 BB de type Midi construites par Alsthom (E 300). Une quinzaine dÕautomotrices de section drives du matriel de la banlieue Austerlitz (Z 4400) a t commande pour assurer le service des omnibus entre Orlans et Bordeaux, mais sans avoir les performances de leur quivalentes de lÕÕEtatÕ. Ainsi, la veille de la nationalisation des chemins de fer avec la cration de la SNCF, le Plan Marquet tmoigne de la permanence du rail dans la modernisation de lÕinfrastructure des transports, comme des vertus dÕune politique publique de grands travaux en priode de rcession conomique.
1937, tract par une 2D2 rutilante, le train d'inauguration de l'lectrification passe Lormont, sur le point d'arriver Bordeaux Saint-Jean (coll.YMT)
Quant aux protagonistes, lÕhistoire a gard dÕAdrien Marquet la mmoire dÕvnements moins plaisants. Nomm ministre de lÕIntrieur par le marchal Ptain en juillet 1940, il fait embastiller ses collgues dont les anciens prsidents du Conseil, L. Blum, E. Daladier, P. Raynaud, ainsi que le ministre G. Mandel, que le rgime de Vichy juge responsables de la dfaite. Propagandiste zl de l'ordre nouveau et anti-communiste virulent, alors que sa ville est devenue une place forte occupe par les Allemands, la Libration il est arrt dans sa mairie et jug par la haute Cour de justice. Amnisti aprs un procs fertile en incidents dÕaudience, ce qui met un terme aux procs de lÕpuration, il se lance en campagne eu dbut des annes 1950 pour reprendre sa mairie J. Chaban-Delmas et recueille encore 30% du suffrage de ses concitoyens. Raoul Dautry quant lui a eu davantage la carrire dÕun grand commis de lÕEtat, que celle dÕun politique. En 1939, il est nomm ministre de lÕArmement dans le gouvernement Daladier et il soutient les travaux de lÕquipe de Frdric Joliot sur lÕnergie atomique, ce qui lui vaudra d'organiser puis de diriger le Commissariat lÕnergie atomique dans l'aprs-guerre.