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La saga des BB Midi

J.-F. Picard, reprint de Correspondances , n°21, nov.-déc. 2005



Exemplaires du savoir faire de l'usine tarbaise des 'Construction Electriques de France', les BB Midi constituent une famille d'engins prolifique puisque, des premières construites au lendemain de la première guerre mondiale étaient toujours à la tâche plus d’un demi-siècle plus tard sur le réseau SNCF. Cette longévité s'explique par la qualité des choix opérés au moment de leur conception ou, pour parler savamment, par leur simplicité de conception gage de l'adaptabilité de l'outil à la versatilité de son usage. On connaît le cahier des charges fixé par le Midi à son fournisseur au début des années 1920, au lendemain de son passage à la tration en courant continu 1500 volts, disposer de locomotives à usage mixte, nécessaires à la traction des trains sur des lignes pyrénéennes dont l'armement est léger. D'où le choix de machines à quatre essieux moteursdisposés dans deux bogies attelés qui portent les organes de traction, l'une des innovations de leur constructeur consistant à abaisser le pivot de la suspension des bogies afin d'optimiser leur stabilité dynamique et leur adhérence. Concernant le look de ces locomotives, on ne peut qu’être d’accord avec Guy Charmentier qui évoque dans le livre qu’il leur a consacré, l'apparence spartiate de ces bonnes à tout faire du rail, mais qui dégageaient "une impression de robustesse pataude et opiniâtre fort sympathique" . Dans cet ouvrage, on suit l'histoire un peu compliquée des différentes séries de BB Midi destinées à assurer un service mixte ou un service marchandise selon leurs rapports d'engrenages, donc les différentes modifications qui feront évoluer certaines de ses locomotives d'une série dans une autre, voire qui donneront lieu à de nouvelles numérotations selon leur changement de fonctions.


le livre de G. Charmentier édité en 1984 par les éditions du Cabri

Un extrait de catalogue constructeur vers 1930 (arch. GEC Alstom)


On peut classer les BB purement Midi en trois lots successifs. La première série, en 1922-1923, voit le lancement des
quatre vingt dix machines des séries E 4000 et 4500. Il s'agit des premières locomotives construites en France pour la traction en courant continu 1500 volts. Leurs moteurs et leur appareillage de commande de conception anglaises inspirés des locomotives du 'North Eastern' ont posé quelques problèmes de mise au point. La tendance à l'échauffement due à l'imprécision du montage des moteurs Dick Kerr, la fragilité des contacteurs à arbre à cames et du disjoncteur limitent la puissance de ces locomotives à 800 kW au lieu des 1000 prévus par les CEF, tandis que le manque de fiabilité du freinage électrique limite leur emploi à la traction des trains de voyageurs munis du frein à air. Reste qu'elles ont inauguré la traction électrique en 1500 v. continu sur le réseau Midi, notamment sur le transpyrénéen occidental Pau-Canfranc en 1928. Inspirée ce cette série de machines, mais débarrassées de leurs défauts de jeunesse et adaptées à la voie large, huit E 1000 destinées au réseau de l'Etat espagnol sont construites par l’usine arragonaise des CAF (Beasain) sous licence CEF. Mais, à partir des années 1950, après les avoir modernisées, la SNCF décide de les verser au service de manoeuvre en les renumérotant dans les séries 1500 et 1600.


                                                                                                                                                                                                        collection B. Vandon

De 1928 à 1930, la seconde vague de locomotives est constituée par la livraison de quatre vingt dix E 4100 dotées d'une transmission à petit rapport de réduction et de cinquante E 4600 à grand rapport. Câblées pour le fonctionnement en unités multiples, dotées cette fois des excellents moteurs M1 mis au point par les CEF dont une partie fabriquée chez Siemens au titre des réparations dues à la suite du traité de Versailles, d'une puissance de 1100 kW en régime continu (près de 1600 cv.), elles disposent de contacteurs électropneumatiques fiables et d'un excellent freinage rhéostatique sur les 4100, très utile sur les lignes de montagne. Ces machines ont assuré toute sorte de services sur la majeure partie du réseau français électrifié en continu 1500 v. assurant aussi bien la traction en triplettes entre Vierzon et Montauban des trains de marchandises de 1800 tonnes de l’axe Paris Toulouse que celle des trains de vacances dans les rampes sévères (40 ‰) du transpyrénéen oriental.


Dans les années 1970, une triplette de 4100 à l'oeuvre dans les rampes du Puymorens(cl. j. L. Poggi )

De 1932 à 1936, la troisième vague de BB Midi est représentée par la série des E 4200-4700, une soixantaine de locomotives construites partie à Tarbes, partie à Belfort, par 'CEF-Alsthom'. Livrées au moment de l'électrification des lignes Béziers-Neussargues et Montauban-Sète, aptes comme les précédentes au couplage en UM, leur puissance est passée à 1350 kW. Elles disposent enfin d'un freinage par récupération efficace ainsi que d'un système d'antipatinage électrique. Gage de leur robustesse et de leur fiabilité, ces deux séries de machines ont assuré un service en ligne à la SNCF
jusque dans les années 1980, notamment sur les lignes pyrénéennes et du Massif Central.


  A Urt (Pyrénées Atl.) vers la même époque, une 4200 descend un train de soufre du gisement de Lacq vers Bayonne (cl. J. L. Poggi)

Directement dérivées de la série des 4700 du Midi, les BB-900 sont commandées par l'Etat à la fin des années 1930
dans le cadre du plan Marquet lancé à l'occasion de l'électrification Paris Le Mans. Grâce à une puissance portée à 1500 kW et à l'adoption d'une transmission élastique, ces machines construites à Tarbes peuvent tracter des trains de voyageurs à 105 km/h et se retrouveront en fin de carrière sur les réseaux Sud-Ouest et Sud-Est de la SNCF. Il en est de même des BB-300 commandées par le 'PO-Midi'  dans la perspective de la mise sous tension de la ligne Paris-Bordeaux en 1938, des machines qui donneront lieu à de nouvelles commandes de la SNCF et des chemins de fer belges (série 29 de la SNCB).


          Une E 240, future BB 300 SNCF, commandée par le P.-O. Midi lors de l'électrification de la ligne Tours Bordeaux (coll. B. Vandon)

L'aboutissement de la généalogie des BB Midi est représenté par les cent quatre vingt BB 8000-8100 livrées par Alsthom à la SNCF de 1949 à 1955 pour l'électrification de la ligne Paris-Lyon. D'une puissance de 2000 kW, soit le double de celle de leur ancêtre et de construction soudée, caisses et bogies, la conception mécanique comme l'architecture de ces dernières s'inscrit sans équivoque dans la filiation directe des petites BB Midi, comme dans l'épopée de la traction électrique en 1500 v. continu. Mais l'une d'elle fait le lien avec le nouveau mode de traction adopté par la SNCF au lendemain de la guerre, l'alternatif haute tension à 50 périodes. En 1951, Alsthom installe des redresseurs à vapeur de mercure dans la BB 8051, inaugurant ainsi l'usage des redresseurs statiques sur les locomotives selon une disposition appelée à de remarquables développements pour l'électrification ferroviaire en alternatif à fréquence industrielle.