Naissance de la SNCF
Avant la création de la SNCF, une partie du
réseau ferroviaire français était déjà exploitée par les pouvoirs
publics. Lourdement déficitaire la 'Cie des chemins de fer de l’Ouest'
fut intégré en
1909 au réseau de l’'État', tandis qu'au lendemain de la Première
Guerre
mondiale, celui d’'Alsace-Lorraine'
passait des mains
de l'administration prussienne dans celles de la Troisième République.
Dans un
contexte de déficit généralisé, la crise économique provoque en 1934 la
fusion
de la 'Cie. du Paris-Orléans' (P.-O.) et des 'Chemins de fer du Midi'
pour tenter
de réduire leurs frais d’exploitation. En 1931, le projet de nationalisation fait
l’objet
d’un rapport du socialiste Jules Moch et
s'inscrit dans
les revendications du syndicalisme cheminot qui a obtenu un statut
unique des travailleurs du rail,
l’unification des grilles salariales et celle des caisses de retraite.
En 1936,
le gouvernement de Front populaire procède à l'embauche de 90 000
cheminots et
lance le débat qui aboutira à la création de la SNCF en janvier 1938.
En dépit des réticences syndicales, le décret de nationalisation a
décidé la
création d’une société d'économie mixte composée à 51% de représentants
de
l'Etat et à 49% des anciennes compagnies - Nord, Est, PLM, PO-Midi et Etat partiellement électrifiées -, moyennant quoi la SNCF
hérite à sa naissance d’une dette cumulée de 37 milliards de francs, tout en
disposant de 500.000 cheminots, auxquels s'ajoute la charge de 400.000
retraités. La
répartition du trafic est très inégale
puisque 60 % des mouvements y assurent 80 % du trafic et que la ligne
Paris-Lyon lui procure le douzième de ses recettes. 25.000
locomotives, 30.000 voitures de voyageurs et 450 000 wagons de
marchandises circulent sur un réseau découpé en cinq régions correspondant à l'emprise
géographique
des anciennes compagnies, puis six
avec
celle de Méditerranée formée en 1947. La direction de la SNCF est assurée par un
conseil
d’administration et un directeur général, le premier nommé à ce poste
étant Robert Le Besnerais. Trois
directions fonctionnelles sont chargées d'animer cet ensemble. L'infrastructure
relève d'un service ‘Voies et Bâtiments’ (VB), la marche des trains d'un
service ‘Exploitation’ (EX), les locomotives et leur combustible, les voitures
et wagons d'un service ‘Matériel et Traction’ (MT), ce dernier disposant de ses
propres divisions d'études, l'une pour les locomotives à vapeur (DEL) attachée
au Sud-est, l'autre pour la traction électrique (DETE) au Sud-Ouest, celle des
voitures (DEV) à l'Est et des autorails (DEA) à l'Ouest.
La bataille du rail
Avec la guerre, la SNCF devient un acteur majeur de l'histoire, son rôle nourrissant une
abondante bibliographie comme une filmographie illustrée par ‘La Bataille du Rail’ de René Clément.
Les opérations de l’été 1940 entrainent un lot de
destructions, souvent dues à des coupures de ponts pratiquées par l'armée
en retraite. L’armistice est signé dans le wagon de 1918 installé en
forêt de Compiègne. Sous l'occupation les deux tiers du réseau de la SNCF sont
placés sous la tutelle militaire de la Wehrmacht Verkehrs Direktion (WVD), puis
remise à une administration civile en 1942. Dès l'été 1940, l'occupant effectue d’importantes
réquisitions de matériel portant sur 1 000 locomotives et 35 000 wagons,
ce qui représente une partie des 260 000 wagons enlevés outre-Rhin à la
fin de la guerre moyennant, il est vrai, certaines compensations financières.
L’exploitation du réseau est
restée aux mains de la SNCF, son personnel étant placés sous la
surveillance d'agents de la 'Reichsbahn’. Conséquences de restrictions
de tous ordres, le
rail est le mode de transport irremplaçable des voyageurs et des
marchandises
dans un pays occupé, mais comme elle a du fournir les convois de la
déportation, elle sera poursuivie en justice soixante ans plus tard pour
se voir finalement déboutée de cette accusation. En fait, du
cheminot de base au directeur de la traction comme Louis Armand,
la SNCF a été
un acteur majeur de la Résistance, que ce soit en fournissant des
renseignements aux Alliés ou en effectuant des sabotages de ses installation, comme
l'atteste son
impressionnant martyrologe, 800 cheminots exécutés, 1200 déportés,
2361 tués
lors de mitraillages ou de bombardements. En 1944, la bataille de la
Libération oppose les tenants de bombardements destinés à
'encager' le front
de Normandie aux actes de sabotages destinés à entraver les transports
de la Wehrmacht. L'entreprise a donc payé un lourd tribut à la bataille du rail.
La reconstruction
A la Libération, la capacité de transport du réseau ferré français ne représente plus qu'un
tiers de son niveau d'avant-guerre. 3.000 kilomètres de voies, 2.000 ouvrages
d'art, 570 postes de signalisation, 10 000 appareils de voie sont détruits ou
avariés. Sur 322 gares importantes, 170 sont totalement démolies ou gravement
endommagées, sur 30 triages 24 sont inutilisables. Dès le mois de décembre
1944, grâce à un effort soutenu près de 1.250 ouvrages sont rendus à
l'exploration sur les grandes radiales, le pont d'Orléans sur la ligne de Toulouse et de
Montlouis sur Paris-Bordeaux, le viaduc de Maintenon sur celle de Bretagne, le
pont de Verberie sur l'Oise ou le viaduc d'Anthéor vers l'Italie. En janvier
1945 la SNCF prend les dispositions nécessaires pour faire rouler près de 8.000
wagons, dont 400 par jour pour l'approvisionnement de la région parisienne. En un an, la circulation des trains est
pratiquement rétablie sur l'ensemble du réseau et elle peut participer activement à la reconstruction. Concernant le parc de
traction, il ne restait que 2.000 locomotives à vapeur en état de marche à la
Libération. Dès le début 1945, André Chapelon, le responsable de la DEL propose
la construction d’une série de locomotives de grande puissance, mais
cela
s’avère hors de portée d'une l'industrie nationale affectée par la
guerre. Il faudra quatre ans pour que la firme Schneider fournisse
les trente
cinq 241-P commandées par la SNCF. En février 1945, une mission est
donc dépêchée aux Etats-Unis pour passer commande à la firme Baldwin de 700
locomotives dont les premiers exemplaires sont livrés à Marseille en décembre. Prévues pour un service mixte, voyageur et marchandise, ces 141-R
à simple expansion bénéficient des procédés de fabrication performants de
l’industrie américaine, chassis monoblocs en acier moulé, roulements à
rouleaux, alimentation par stocker, bientôt suivies d’une deuxième tranche de
500 machines du même type chauffées au fuel. Prévues pour être
conduites en banalité, ces locos qualifiées de 'Libération' révolutionnent la
traction vapeur à une époque où chaque équipe était affectée à sa machine. Alors que
la SNCF disposait de 800 autorails à la nationalisation, il n’en reste que 450
en état de marche en 1945. L’année suivante, la Fédération nationale des
cheminots CGT lance la construction d'un engin dont le coût est
théoriquement inférieur à celui d'un autocar. A partir de 1946, ces 'FNC'
(X-5600) sont affectés au service omnibus de quelques lignes secondaires,
ils sont bientôt suivis par une série d’autorails plus puissants conçus par la DEA (X-3800) qu serviront à irriguer l'ensemble du réseau. Concernant le matériel roulant, au printemps
1945, la SNCF n'inventorie plus que de 10 000 voitures voyageurs, contre 17.000
avant-guerre et elle passe commande en 1949 de 350 voitures de grandes lignes conçues par l'ingénieur Denis Forestier de la DEV. Alors qu'elle a
remis en service environ 130 000 wagons de marchandises début 1946, elle
commande 80 000 wagons couverts en Amérique, dont la moitié sous forme de
'kits' à assembler dans les ports de livraison.
Un déficit endémique
Forts de leur rôle dans la Résistance, les cheminots n’ont pas
ménagé leur
peine dans la période de reconstruction où ils entendent faire valoir leurs droits. Sous l’impulsion de la CGT,
iau printemps 1947, la sortie du Gouvernement des ministres communistes
provoque
une vague de grèves dures. A la suite de l'évacuation des dépôts ordonnés
par le ministre de l'Intérieur, Jules Moch. Un sabotage commis à
proximité d’Arras provoque le déraillement d'un train, la CGT proteste de son
innocence et dénonce "une
canaillerie sans nom", mais provoque la suspension de ses deux représentants au
conseil d’administration , Tournemaine et Crapier. De même, le directeur de la SNCF, Maurice Lemaire, entré en fonctions
à la Libération est remercié. L'heure est venue du redressement des comptes.
En 1949, l'Assemblée de la IVème République dresse un rapport sur le
fonctionnement des entreprises nationalisées et si le rôle de la SNCF dans la
remise en marche du pays est incontestable, il n'en va pas de même de son coût. Les investigations confiées au sénateur
du Vaucluse, Marcel Pellenc, précisent les causes du déficit tarifaire : « depuis 1918 en France a toujours été en retard sur la hausse des
prix. Il est deux choses que les Français ne veulent pas payer à leur prix
normal, leurs transports et leurs loyers. En 1914 le retard des tarifs de
chemin de fer sur l'indice des prix était de 32 % pour les voyageurs alors
qu’il atteignait déjà 77 % en 1939».
Le rapport Pellenc pointe les
dépenses de personnel qui constituent 60 % du budget d'exploitation de
la SNCF. Malgré la grogne
syndicale évoquée par 'Le Monde' qui ironise sur la prime au chat des gardes-barrières,
le trafic est entièrement paralysé en août 1953. Il n’empêche, les effectifs de la SNCF ne
cesseront de décroitre au
fil des ans, 360 000 agents en 1958, 270 000 en 1974... Une
autre cause du déficit provient de l'essor des transports routiers. Une
première
tentative de coordination rail-route avait fait l'objet d'un décret-loi de 1934
, une nouvelle
loi est votée en juillet 1949 alors que
80% du trafic marchandise n'utilise plus que la moitié du réseau
ferré. Outre des coûts d'exploitation à leur avantage, les routiers 'écrèment', selon l'expression de l'époque,
les transports les plus rémunérateurs. En 1952, les conclusions du rapport Pellenc rappellent que "...la SNCF qui n'est ni maîtresse du niveau des tarifs qui
commande ses recettes, ni des salaires ou des prix qui conditionnent ses
dépenses.../ vit pour les deux tiers des fonds de l'État, (mais qu'elle)
constitue l'un des services essentiels de la vie nationale", conduisant le gouvernement Antoine Pinay à transférer à
l'État la charge de 60 % des frais d'entretiens du réseau.
Louis Armand, le modernisateur
Sorti second de l'École polytechnique et premier de l'École des mines, entré eu
PLM en 1934, Louis Armand est nommé directeur général de la SNCF en 1949. En saint-simonien, ce cheminot a un
sens aigu du rôle que doit tenir un service public dans le progrès scientifique et technique. Il évoque «cette nécessaire discipline du monde de demain qui donne un atout
au chemin de fer que la route ne possède pas : le guidage».
Loin de n'être que source de
déficit, Armand avance que le rail recèle des possibilités de
productivité
susceptibles de soutenir la croissance économique grâce à un ensemble
d'innovations. Dès les premières décennies d'après-guerre, la SNCF se
pose comme un artisan majeur du redressement et de la modernisation du
pays. Elle développe la mécansiaton et la pose de rails en barres longues, automatise l'exploitation et surtout développe la traction électrique. En 1939 pour équiper la ligne
Paris-Lyon-Marseille, la SNCF avait choisi le courant continu 1500 volts adopté une vingtaine d'années plus tôt par Hippolyte Parodi pour l'électrification du P.-O.
Mais l'occupation l'amène à surseoir à cette décision, alors qu'elle
est confrontée à d'autres éventualités comme le recours au continu 3000
volts des italiens ou à l'alternatif à fréquence spéciale (16 2/3)
germano-suisse. En définitive, dans le souci de mutualiser son parc de
traction, voire d'adopter des dispositions qui ont fait leur preuve, il
est finalement décidé que Paris-Lyon sera électrifiée en 1500 volts c.c.
Mais depuis l'avant-guerre, Louis Armand s'intéresse aux expériences
de traction en courtant monophasé à 50 Hz
- celui du réseau général de distribution électrique - réalisées par le
dr. Paul Müller de Siemens sur une petite ligne de la Forêt Noire. Sous
l'occupation, il dépêche deux ingénieurs de la firme
Schneider-Westinghouse, Charles Rossignol et Paul de Giacomoni, pour
examiner cette installation jugée plus économique que le 'système Parodi'. Le 7 juin 1944, soit le lendemain du débarquement
allié en Normandie et quinze jours avant son arrestation par la Gestapo, il
rédige une note destinée à la direction de la SNCF dans laquelle il recommande
l’adoption «…du courant monophasé à 50 pps.
(périodes par seconde) sur des lignes de trafic moyen dont l'électrification en
continu basse tension ne saurait se justifier, Clermont-Ferrand-Nîmes par
exemple, pour lesquelles on pourra se contenter de locomotives moins puissantes
qu'avec l'ancien système». Au Congrès pour l'avancement des
sciences à Biarritz en 1947, Armand rappelle "qu'une fois achevé Paris-Lyon en courant continu, il ne restera
que quelques centaines de kilomètres à équiper sur le réseau français avec ce
système, soit moins de la moitié des lignes susceptibles de l'être à moindre
coût".
En puisant directement l’énergie nécessaire à la
traction auprès du fournisseur, EDF est créée en 1946, la SNCF
pourrait faire une économie du simple au double par rapport à
l'infrastructure nécessaire au 1500 v. continu; ainsi pourrait-elle
alléger sa consommation de charbon qui
représente encore le cinquième de la production nationale.
L'alternatif monophasé 50 Hz
Placé à la tête de la DETE en 1945, Marcel Garreau a un rôle majeur dans la
mise au point de la traction en courant industriel. Recruté aux chemins de
fer l’ETAT, cet ingénieur X-Supélec avait conçu le système de télécommande des
sous-stations de la ligne Paris - Le Mans. A la DETE, il est secondé un groupe
de jeunes ingénieurs, parmi lesquels Fernand Nouvion, venu comme lui de
l’Etat. La principale contrainte posée par l’usage du monophasé 50 Hz concerne la commutation des moteurs à collecteurs : «...si le monophasé à fréquence industrielle peut faire ressortir
une économie des coûts d'équipement par rapport au continu, encore faut-il que
cette simplification apportée à l'alimentation ne rejette pas sur les
locomotives des difficultés susceptibles de manger le bénéfice ».
A la suite du fonctionnement médiocre des locomotives du Höllental, la
'Reichsbahn' avait abandonné l'expérience. Mais la ligne est située dans la
zone française d'occupation en Allemagne et, en 1946, la SNCF décide de les reprendre avant de les poursuivre sur la ligne savoyarde
d’Aix-les-Bains à la Roche-sur-Foron.
Le problème concerne la
mise au point d’une machine à moteur direct à laquelle s'étaient
heurtés les
ingénieurs de Siemens, selon Armand la manière la plus
logique d’utiliser le courant alternatif haute-tension. Si la 'CC-6051'
fournie
par Örlikon donne satisfaction sur la ligne de Savoie, sa complexité
fait craindre une commutation délicate source d'un entretien
onéreux. Une autre solution imaginée par Garreau passe par l'usage de
redresseurs statiques comme l'ignitron développé par la firme Westinghouse pour
les besoins de l'électrométallurgie. A l’issue d’une mission d'étude aux
Etats-Unis, en 1947 il décide de monter ce type de redresseurs sur une
automotrice retirée de la banlieue Saint-Lazare.
En octobre 1951, alors que l'électrification en 50 Hz de la ligne
Valenciennes-Thionville débute sur le Nord-Est, Louis Armand convie à Annecy les
délégués de vingt deux pays pour leur présenter les progrès réalisés par la
SNCF en matière de traction électrique. Malgré l’intérêt pour la
nouvelle technique, certaines critiques s’y expriment, notamment celle
d’Hippolyte Parodi qui dénonce : «...la remise
en cause, à l'issue d'une étrange discussion, d'un dispositif (le courant
continu) que l'on pensait définitivement adopté après la guerre de
1914-18, contre le système allemand et suisse.../ Même les Allemands ont
adopté le continu pour les banlieues de Hambourg et de Berlin»
souligne l’académicien. Alors que la 'Bundesbahn' s’apprête à lancer un ambitieux
programme d’électrification, son patron le dr. ing. Peters, rappelle son peu
d'enthousiasme pour les essais du Höllental, niant qu'un bilan
d'électrification en monophasé 50 périodes puisse mieux se présenter qu'en 16
2/3. De même, le directeur des CFF, le dr. ing. Mayer, confirme que son pays
totalement électrifié reste très satisfait du 16 2/3 Hz. Reste qu'avec la mise en
service du monophasé sur Valenciennes-Thionville et sur les Chemins de fer luxembourgeois (CFL),
les 'BB-12000' équipées d’ignitrons révèlent leur extraordinaire capacités de
traction, pratiquement le double de ce qu'imaginaient les ingénieurs, une
réussite évoquée par Garreau qui souligne : "que leur moteur à courant continu se révèle capable d'avaler
les ondulations du courant redressé, en fait du cent périodes, beaucoup plus
facilement qu'on ne l'imaginait ». Si la polémique franco-allemande entre les deux systèmes est relancée aux journées d'information de Lille en
mai 1955, l'alternatif 50 Hz est adopté en Turquie
et au Portugal, puis en Grande-Bretagne, en URSS et en Chine au bénéfice de
l'industrie ferroviaire française. A la SNCF, l’équipement de la ligne Paris-Lille est
achevée en 1959, Dijon-Vallorbe en 1960,
puis
Paris-Strasbourg, Paris-Le Havre, Le Mans-Rennes, Marseille-Vintimille,
etc. au
cours des années 1960. En 1970, 10 000 km de lignes SNCF sont
électrifiées avec les deux systèmes, continu et alternatif, et
acheminent 80 %
du trafic de la SNCF. La mise sous tension de la ligne
Dijon-Neufchâteau entre le Nord-Est et le Sud-Est requiert l’emploi de
machines capables de passer
en pleine voie d’un type de courant à un autre. La 'BB-20005' modifiée par André Cossié
au début des années 1961, la mère des machines bi-courants met fin à l'usage de
gares commutables. Le 50 Hz est devenu le système universel d'électrification des chemins de fer.
Locomotives à adhérence totale
Issu de Sup'Elec, Fernand Nouvion est nommé aux
cotés de Marcel Garreau à la DETE. Davantage attiré par la mécanique
que par l'électrotechnique, dans une conférence donnée à l'Ecole polytechnique
en 1955, il affirme que "le plus
important dans une locomotive, ce n'est pas le mode de traction, mais la partie
mécanique dont l'électricité ne doit être que le serviteur ".
Alors que les locomotives électriques de grande puissance de type 2D2 disposent
de moteurs dans le chassis et d'essieux porteurs, l’innovation vient de Suisse
lorsqu'en 1944 la compagnie du 'Bern-Lotschberg-Simplon' met en service la 'Ae
4/4-251' à adhérence totale et à moteurs entièrement suspendus. Inspirée par ces
dispositions, la SNCF passe commande à Alsthom d'une machine à six
essieux (CC-7001) et à MTE-Schneider de machines à
quatre essieux (BB-9003 et 4). En 1955, lors d'une conférence donnée à
Polytechnique, Fernand Nouvion explique pourquoi il a choisi ce type de
locomotives pour réaliser des expériences de grande vitesse sur la ligne des Landes. Si ces expériences largement
médiatisées relèvent de l'exploit, un 'ruban bleu du rail' selon la presse
spécialisée, elles se révèlent riches d’enseignements. «On apprend beaucoup lorsque on va sur le terrain au lieu de rester
dans les bureaux dit Nouvion. C'est l'essai de la BB qui nous a montré la nécessité de
monter sur les bogies des amortisseurs antilacets à action rapide /.../
(ils) nous ont aussi appris que pour aller vite, il fallait des roues
monoblocs... Ensuite qu'il y avait un problème de captage. Il fallait remplacer
le continu moyenne tension par de l'alternatif haute tension.../ [En 1990] le
TGV a battu son record de 515 km/h en prenant 700 Ampères à la caténaire, moi,
j'en avais pompé plus de 5000 à 331 km/h!". Fruit de ces expériences, Nouvion présente sa 'locomotive
universelle', la série des 'BB-16500' introduite en 1958. Ces locomotives à
adhérence totale sont dotées de bogies monomoteurs et d’une transmission à
double rapport de réduction, ce qui les rend aptes à tracter un train de
marchandises de 1500 t. à 90 km/h ou de voyageurs à 140 km/h. La bi-réduction
reste néanmoins critiquée par les services d’entretiens. Lors d’une réunion
organisée par le Service matériel et traction à Salins-les-Bains, il doit
monter au créneau pour défendre ses conceptions : «personne au monde n'est capable de faire une machine aussi légère,
aussi performante, aussi universelle que la '16500' et si vous avez des
problèmes c'est que vous ne savez pas les entretenir !». Reste que
leur tenue de voie vacillante due au faible empattement des bogies et à la
raideur de leur suspension leur valent le sobriquet de 'danseuses'. Au vrai, le
bogie monomoteur à bi-réduction nécessite une pose de voie impeccable, comme le
révèlera des années plus tard l'échec d'une ‘CC-21000' essayée par l'Amtrak
entre Boston et New-York. La bi-réduction est d’ailleurs contestée par le
nouveau directeur du matériel à la SNCF, Jean Dupuy, qui nie son intérêt
économique : «...des bogies
à deux rapports d'engrenage ne servent à rien si on relève la vitesse des
trains de marchandise de 90 km/h à 120 Km/h puisqu'on perd ainsi le bénéfice
d'une économie de 8% sur le nombre de machines du parc ».
Cette disposition est abandonnée sur les nouvelles locomotives à
bogies monomoteurs commandées par la SNCF dans les années 1970 après le
constat que la polyvalence d'une locomotive électrique dépend davantage
des lois de la physique que des contraintes de la mécanique.
Le 'Pool Europ' de wagons de marchandises
En 1946, la SNCF a réformé le transport marchandise en séparant le régime
ordinaire (RO) d'un régime dit ‘accéléré’ (RA), bientot appelé à représenter le tiers
de son trafic. Elle modernise ses gares de triages en
conséquence, sur le Sud-Est, celui de Gevrey-Chambertin est inauguré
en 1951, celui de Villeneuve Saint-Georges bat le record
du nombre de wagons traités en 1957. Au Bourget, à Miramas (Marseille),
Sotteville (Rouen), Woippy (Metz), Hourcade (Bordeaux), Sibelin (Lyon),
Saint-Jory (Toulouse), les triages bénéficient d’équipements destinés à en
améliore le rendement : machines de débranchement télécommandées, postes à
billes, freins de voies, transmissions radio, téléscripteurs, etc. En 1955, le
trafic marchandise atteint un sommet inégalé à la SNCF avec 46 milliards de
‘tonnes-kilomètres’, en augmentation de 4 milliards par rapport au record de
1929. Compte tenu des facteurs géopolitiques de l'Europe d'après-guerre,
l'évolution du trafic est lié au développement des relations franco-allemandes. En octobre 1940,
la nécessité de prévenir la réquisition des wagons minéraliers sur le Nord-Est
est à l’origine de la création de la 'Société de gérance des wagons à grande
capacité' (SGW). Dans les années 1950, l’électrification de la ligne
Valenciennes-Thionville et ses antennes suscite la construction de wagons
trémies de 60 tonnes de charge utile. La 'Communauté européenne du charbon et de l'acier' (CECA) donne
une forte impulsion à l’européanisation du trafic marchandise. En 1951, une convention est passée entre
la Deutsche Bundesbahn et la SNCF pour constituer un 'pool' de 100 000 wagons
utilisés indifféremment de part et d’autre de la frontière. L’opération
s'avère un succès et s’étend en 1954 aux autres partenaires de l'Europe
occidentale et concerne 150 000 pièces par l’apport de 4 500 wagons
autrichiens, 20 000 Belges , 600 danois, 15 000 italiens, 1 250
luxembourgeois,
3 750 hollandais, 4 100 des Chemins de fer de la Sarre et 4 000
suisses.
Cette mise en commun incite à standardiser la construction des
véhicules en
normalisant leurs prescriptions techniques, dimensions, charges, barres
de
traction continue, etc., définies par l’Office de recherches et
d’essais de l’Union internationale des chemins de fer
(UIC). En 1963, il est envisagé d’adapter l'attelage automatique au million de
wagons appelés à circuler sur les différents réseaux européens. Mais ce
programme trop ambitieux compte-tenu de son coût et du tassement
du trafic, ne sera pas réalisé.
La concurrence rail-route
A compter des années 1960 la concurrence routière et la construction
d'autoroutes amorce l’irrésistible déclin du trafic marchandise. En
France, la SNCF qui détenait 80 % des transports de produits pondéreux, est
victime du déclin des charbonnages du nord et de la sidérurgie lorraine, en
outre le rail se heurte à la concurrence de la voie d’eau pour les produits de
construction et au développement d'un réseau d'oléoducs pour les hydrocarbures.
Mais le chemin de fer est surtout victime de l'essor d'une concurrence routière
qui assure au milieu des années 1960 plus des trois quarts des transports, dont
53% pour les produits alimentaires, et bénéficie d'un taux de progression deux
fois plus élevé que celui de l’économie nationale. De plus, dans l’Europe
des années 1970 la libéralisation des échanges invalide toute velléité de
politique des transports. Les Pays-Bas qui sont liés à la prospérité
de Rotterdam, défendent la libre navigation sur le Rhin et la circulation des
poids lourds. En Italie la faiblesse du maillage ferroviaire fait que le rail
n’assure que 20 % du transport de fret. De même en Grande-Bretagne l’insularité
et un gabarit ferroviaire étriqué font que la route capte désormais les
trois quarts du trafic marchandise. La SNCF envisage certaines contre-mesures,
comme le lancement d’un ‘Provence-Express’ destiné à acheminer fruits et
légumes du Vaucluse vers la région parisienne ou les 'wagons-kangourous' destinés aux
remorques routières, voire en imaginant une ‘route roulante’ destinée à
charger des semi-remorques. En vain, ces initiatives se heurtent à certaines
contraintes techniques, comme des limites de gabarit, et surtout économiques
dues aux délais de transbordements entre modes de transports. Dans les
dernières décennies du vingtième siècle en France, la part du trafic
marchandise par rail régresse d’environ 3 à 4% par an, ce que la SNCF n'hésite pas à qualifier de
catastrophe. Le journal ‘Le Monde’ constate que ‘l’Europe des transports ferroviaires n’existe pas’ et ne
survivent plus que des trains blocs de céréales et ceux du transit de
containers déchargés à Marseille à destination de l'Europe du Nord.
La banlieue parisienne et son 'RER'
A ses débuts, la SNCF ne s'est guère occupée de la banlieue parisienne
qui bénéficiait d’un réseau développé par les anciennes
compagnies, en particulier sur
la Banlieue Saint-Lazare, modernisée dans la période de l’entre-deux-guerres par les chemins de fer de
l'Etat. Sur un total d’un demi-million de banlieusards transportés
quotidiennement à la veille de la Seconde Guerre mondiale, avec ses 270 000
voyageurs la gare Saint-Lazare se taille la part du lion devant celle du Nord
(130 000), de l’Est (90 000), de Lyon (55 000), d’Austerlitz (30 000) et de
Montparnasse (16 000). Dans les années 1950, la banlieue bénéficie de
l’électrification du réseau SNCF avec la commande de rames en acier inoxydable
mises en service vers Corbeille et Melun au Sud-Est, puis à
compter de 1958 vers Creil et Persan-Beaumont à partir de celle du Nord, alors
que la banlieue Saint-Lazare est transformée
en 1977 avec l’électrification de la ligne Paris-Le Havre en
monophasé 50 Hz.
Il
revient à la Vème République de donner la priorité à un 'réseau express régional' (RER) en proposant la construction de
deux transversales à grand gabarit, Est-Ouest et Nord-Sud.
Inscrit au schéma directeur de 1972, la réalisation du RER implique
l'ouverture de vastes chantiers de génie civil confiés à la SNCF et à la 'Régie
autonome
des transports parisien' (RATP) qui exploite la ligne de Sceaux. La réalisation de la transversale
est-ouest est confiée à la RATP à laquelle la SNCF cède les prolongements de
ses lignes de banlieue vers Boissy-Saint-Léger et Saint-Germain en Laye. Le
'RER-A' inauguré en 1978 dessert quatre stations de correspondances parisiennes
dont ‘Châtelet Les Halles’, le futur point
nodal du RER. La réalisation de la transversale nord-sud, 'RER-B', requiert
l’interconnexion de la ligne avec la banlieue Nord exploitée
par la SNCF. Lors des discussions préliminaires, les exploitants rechignent à une fusion
des deux entreprises publiques en s'appuyant sur un argumentaire technique,
différence des systèmes d’électrification, de signalisation et de hauteurs de
quais. La RATP prévient qu’elle n’acceptera la circulation des trains SNCF
sur son réseau qu’à la condition qu’ils ne perturbent pas son propre trafic...
Malgré ces réticences, le prolongement du RER-B jusqu’à
‘Châtelet-Les Halles’ est réalisée grâce à l’établissement d’une rampe de 3%
qui la mène à 'Saint-Michel Notre-Dame' en correspondance avec
la SNCF, tandis que la jonction avec 'Gare du Nord' permet en 1981 la circulation des trains
entre 'Saint-Rémy lès Chevreuse' et l'aéroport 'Charles de Gaulle'. La
réalisation du 'RER-C' de la SNCF intéresse la transversale de la
rive-gauche de la Seine en connectant les gares des 'Invalides' et
d’'Orsay' en souterrain. Elle bénéficie en 1986 de construction de rames bicourant à deux
niveaux (Z-8800). Quant au ‘RER D’ qui
emprunte une partie du réseau RATP, il raccorde la banlieue Nord à celle du
Sud-Est en assurant via ‘Chatelet les Halles’ la liaison entre les gares de
Lyon et du Nord. En juin 1988, cette dernière voit le télescopage de deux trains de banlieue
causant 59 victimes et occupant la ‘une’ des journaux durant une semaine. Due selon la CGT à la
dégradation du service public, la catastrophe provoque la démission du
président de la SNCF, mais elle révèle aussi la difficulté de sécuriser ce
qui est devenu un gigantesque réseau peri-urbain victime de nombreuses incivilités. Avec la mise en
service du ‘RER-E’, le réseau rebaptisé ‘Transilien’ à la fin du siècle compte
3780 km de voies, 400 gares et il voit la circulation quotidienne de 7500
trains qui transportent trois millions d'usagers, six fois plus que ne le
faisait le réseau de banlieue en 1938.
'Trans-Europ-Express'
Comme celui des marchandises, le trafic voyageur a bénéficié de
l’européanisation des transports. En 1956, la troisième classe est supprimée en France comme
en Allemagne au début des années 1960. S’intéressant à la clientèle britannique à haut pouvoir d'achat,
la SNCF met en route des trains auto-couchettes entre le port de
Boulogne-sur-Mer et la Côte d’Azur. Surtout, l'idée d'un réseau
‘Trans-Europ-Express‘ (TEE) destiné aux trains d'affaires en Lotharingie
industrielle revient à Frans den Hollander, le président des Chemins de fer néerlandais. A compter de l'été 1957, les 'TEE' composés de rames automotrices
diesel-électriques commencent à circuler. Ces trains appelés à circuler en Europe de l'Ouest roulent à 140
km/h sont soigneusement insonorisés, climatisés et sont accessibles en première
classe aux voyageurs moyennant un supplément de 1,7 Fr. au kilomètre. La
rame TEE allemande prend en charge le ‘Paris-Rühr’ qui assure la liaison Paris
Nord – Liège – Cologne – Dortmund. La rame hollando-suisse de l‘'Etoile du Nord’
assure le 'TEE' Amsterdam – Bruxelles – Paris. De son côté la SNCF
améliore le confort des rames à grand parcours (RGP) destinées au service
intérieur et propose le TEE ‘Ile de France’ qui relie Paris-Nord, à Bruxelles
et Amsterdam en 5 h 30 tandis que ‘L’Arbalète’ assure la relation Paris-Est,
Mulhouse, Bale et Zürich en 6 heures. Les rames 'TEE' des chemins de fer
italiens contribuent à réduire de près des deux tiers - 4 h. 30 au lieu de 11 h
! - la relation Marseille – Gêne – Milan. Au début des années 1960, les
'TEE' adoptent la traction électrique avec le ‘Cisalpin’ assuré par une
rame électrique quadricourant des CFF entre Paris et Milan via la ligne du
Gothard. En 1964, la SNCF décide d’engager des rames tractées sur la
relation Paris–Bruxelles–Amsterdam en passant commandes de machines quadri-courant,
les 'CC 40100' dupliquées en série 18 par la SNCB. Ces locomotives conçues par
André Cossié de la DETE s'avèrent assez fragiles, alors qu'au grand dam de la
SNCF et vraisemblablement pour des raisons de concurrence, leur circulation
n'est pas autorisée sur les réseaux allemands et hollandais. En revanche, la SNCF
obtient de labéliser ‘TEE’ des trains rapides à suppléments appelés à circuler
sur le réseau national, le ‘Mistral’ Paris-Nice inauguré en 1950 devient un
TEE, comme ‘Le Capitole’ Paris - Toulouse en 1967 tracté par une BB
9200 apte à 200 km/h entre Orléans et Vierzon. Le 'Capitole' rappelle
Jean Dupuy est alors "...la première
étape vers une accélération significative de la vitesse de nos trains".
En 1971, ‘l’Aquitaine’ Paris-Bordeaux composés de
voitures ‘grand confort’ est tracté par des 'CC 6500',
les
locomotives électriques de 8000 cv., les plus puissantes du parc. Mais
les 'TEE' ne vont pas tarder à se trouver confrontés au TGV.
La recherche dans les transports terrestres
Les années 1960 voient se développer des recherches visant à généraliser la
célérité des transports guidés de voyageurs en visant le 200 km/h de vitesse commerciale. Deux voies semblent possibles, soit en développant de nouvelles technologies,
soit en établissant les infrastructures adéquates. Champion de cette
option, au
début des années soixante, le Japon entreprend de compléter de voies
métriques
en construisant une ligne de profil optimisé à écartement standard pour
relier Tokyo à Osaka. C'est ainsi qu'en 1962 des rames électriques
alimentées
en 25 kV 50 Hz circulant à 200 km/h, mais s'ils sont impressionnés par la
performance technique, les exploitants européens doutent de
la rentabilité du 'Shinkansen'. En Allemagne où la 'Bundesbahn' a organisé
une relation expérimentale Munich-Augsburg à 200 km/h, le ministère fédéral de
la technologie, on table plutot sur la sustentation magnétique. Le
'Transrapid' conçu par Siemens et Thyssen-Krupp est le fruit d'une technologie aussi
complexe qu'onéreuse, mais incompatible avec le réseau classique. De même en France, l'Aérotrain' Bertin qui fonctionne sur
coussin d'air nécessite une infrastructure spécifique. La
pendulation offre en revanche une technologie compatible avec le
rail, puisqu'elle consiste à améliorer le confort des voyageurs dans les
courbes en compensant les effets de la force centrifuge. Alors
que la Grande-Bretagne développe son Advanced Passenger Train (APT) , l'Italie élabore l'électrotrain 'Pendolino'
mis en service en 1975 et
rencontre un notable succès à l'exportation.
A la SNCF qui a
réalisé les essais de 1955 (cf. supra), la
prospective sur les grandes vitesses procède d’une réflexion globale
smenée par les ingénieurs économistes. Nommé en 1966 directeur
général, Roger Guibert l’ancien
responsable des transports routiers de la SNCF, confie à son adjoint Roger Hutter, un X-mines condisciple
du Nobel d’économie Maurice Allais, le soin d'installer un Service de la
recherche pour lequel il recrute Michel Walrave, un économiste
polytechnicien. "A l'époque,
la moitié des recettes de la SNCF provenait encore du trafic marchandises rappelle
Walrave. En revanche,
il paraissait que si nous ne jouions pas la grande vitesse, le trafic voyageur
n'aurait bientôt plus qu'un rôle secondaire, à l'exception peut être des
banlieues. C'est donc sur l'idée d'une modernisation du trafic voyageur que
nous avons travaillé. C'est-à-dire que de raisonner en terme d'induction de
l'offre en jouant sur deux caractéristiques d'un chemin de fer moderne : la
vitesse et la fréquence de desserte". Le Service de la
recherche lance des études prospectives tous azimuts dont l'une qui porte sur
les 'possibilités ferroviaires sur infrastructures nouvelles' (C03) est confié
à Marcel Tessier. "Personnellement, dit Jean Dupuy un futur directeur
de la SNCF, j'estime que le chemin de fer a
été sauvé plusieurs fois au cours de son histoire par des facteurs d'ordre
économique. Cela a été vrai avec l'adoption du 50 Hz alors que la vapeur
arrivait à bout de souffle, comme ce fut le cas pour le transport voyageurs
avec le TGV» .
TGV et LGV
La première idée de
faisabilité d'une ligne à grande vitesse revient à Robert Geais, le chef du service
'VB' de la région Nord qui propose d'adapter un profil autoroutier au chemin de
fer, c'est-à-dire des rampes de 35 % et des courbes d'un rayon de trois à
quatre kilomètres. Mais la décision de la construire sur l'axe Paris-Lyon s'explique selon Walrave parce que «...sur une
distance de 430 kilomètres, (elle) représentait le flux de voyageurs le plus
important du réseau et [où] il semblait le plus probatoire de mettre en place
[notre] projet de circulations de trains à forte puissance massique". Au début des
années 1970, plusieurs audits, celui d'un Groupe d'étude
mixte fer-autoroute (GEFAU), le rapport Coquand, le rapport Le
Vert,
valident les perspectives de rentabilité du projet 'C03'. L'Etat
ayant
exclu de participer au finacement de l'opération, la SNCF est conviée à
placer
ses emprunts sur le marché international, ce que facilite ses capacités
reconnues de remboursement (label '3A' sur Standard & Poor). La
déclaration
de travaux d'utilité publique obtenue en 1976 permet l'ouverture du
chantier
qui ne manque pas de susciter des contestations. Outre les
protestations
des édiles dijonnais desservis par l'ancienne ligne impériale désormais
court-circuitée, l'intention d'établir une nouvelle gare dans le
quartier de la
Part-Dieu est contesté par le maire de Lyon qui redoute la concurrence
faite à
l'aéroport de Satolas. De fait, la compagnie Air-Inter perdra la moitié du
trafic aérien entre Paris et Lyon et finira par
disparaitre, absorbée par Air-France. «Vers la fin des années 1960 on voyait la cible dit
Hutter, restait à fabriquer le fusil".
Initialement, il est question d'utiliser la traction thermique dont la SNCF a
acquis l'expérience sur son réseau non électrifié, d'abord en traction diesel, puis
avec les trains à turbines à gaz 'RTG'. En 1969, la SNCF passe commande à Alsthom de
deux prototypes à turbines, dont l'un doté d'une
suspension pendulaire, "...raison
pour laquelle on avait conçu la rame articulée avec deux caisses sur un
bogie explique Dupuy, le directeur du matériel, l'anneau de liaison étant destiné à la
pendulation». Le 'T.G.V. 001' sort des usines Alsthom
à Belfort en avril 1972, un an avant crise de l'énergie et le basculement en traction électrique.
«La décision de construire la ligne du TGV Sud-Est est intervenue
le 6 mars 1974 se souvient Dupuy. C'est l'une des toutes dernières décisions du Président Pompidou.
Elle faisait partie du premier train de mesures consécutives à la crise
pétrolière. J'ai souvenir d'un comité interministériel centré sur les économies
d'énergie dans lequel la construction d'une ligne nouvelle a été mentionnée
pour la première fois comme une des priorités du gouvernement. C'est là que
tout a basculé. Si on faisait une ligne nouvelle, elle serait électrique.
C'était un changement de pied assez sportif. On peut dire
qu'un grand nombre de facteurs ont joué dans la genèse du TGV comme le
baromètre 'économie d'énergie', voire les préoccupations naissantes
d'environnement».
En
août 1978, la première rame de la série '23000' en traction
électrique est réceptionnée à l'usine Alsthom de Belfort et cinq ans
plus tard le TGV relie quotidiennement Paris à Lyon en deux heures,
dix ans après le retrait de la dernière locomotive à vapeur de la SNCF.
Lors de l'inauguration du TGV-SE , avec l'évocation d'un nouveau réseau
ferré consacré à la grande vitesse, le président Mitterrand annonce en
1981 le lancement du TGV-Atlantique destiné à circuler à 300 km/h. A la
suite d'une décision validée par Charles Fiterman au ministère des
Transports, une première section du TGV-A permet
l'installation d'une gare à Massy-Palaiseau connectant les TGV-A et
TGV-SE et une relation entre Nantes et Lyon prolongée jusqu'à Bordeaux en 2017. En 1984,
la mise en service de la LGV Paris-Lille amorce
l'européanisation du des lignes à grande vitesse. 'Thalys' relie Paris à
Bruxelles en un peu plus de 2 heures, tandis que les rames 'PBKA' assurent les relations
vers Amsterdam et Cologne. La liaison Paris-Londres est liée à la réalisation du tunnel sous la Manche en 1994 qui dans un premier temps permet de relier la
gare du Nord à Paris et du Midi à Bruxelles à de Waterloo à Londres grace
aux trains 'Eurostar' quadri-courants. En 2001, le TGV-Méditerranée atteint Marseille qui devient accessible en un peu plus de 3 heures
à partir de Paris tandis que la LGV Paris-Strasbourg est ouverte en 2016. Sur cette dernière est réalisé le record du monde de vitesse sur rail à
575 km/h avec un 'TGV-duplex' spécialement modifié. L'équation 'LGV - TGV' solde une réussite dont peut s'enorgueillir la SNCF qui voit son trafic
voyageurs croitre de 10% par an avec une hausse de 25 % de son bilan d'exploitation. Soucieuse de remplacer
le concept d'usager par celui de client, la société nationale adopte alors des règles de
managements inspirées des compagnies aériennes (yield management), contribuant à la mutation du service public qu'elle assumait en celle de
transporteur dans un marché concurrentiel.
La SNCF, une entreprise comme une autre?
En 1987, Jean Dupuy doit
quitter la SNCF, victime de la réussite du TGV. Placé à sa tête deux ans plus tôt, il doit quitter l'entreprise nationale pour avoir proposé à son
personnel de moduler l'avancement à l'ancienneté : «je suis de ceux qui pensent et c'est l'une des raisons qui m'ont
conduit à reprendre, comme on dit, sa liberté que l'avenir est entièrement
commandé par une prise de conscience de son personnel en face des évolutions à
venir. Les cheminots vont devoir comprendre que le destin du chemin de fer est
entre leurs mains et que, s'ils veulent continuer à jouer la partie, ils
devront réévaluer leur situation par rapport à la vie économique nationale.../
J'ai quitté la SNCF parce que j'estimais n'être plus en situation de pouvoir y
faire ce que je jugeais indispensable - on doit d'ailleurs dire que les
pouvoirs publics partipent à cette espèce d'inhibition - [à savoir que] je me
suis fait clouer au pilori parce que j'avais essayé d'y introduire un
peu d'avancement au mérite..." Pour la libérer du poids d'un déficit dont le cumul est estimé à une vingtaine de milliards
d'Euros,
une directive européenne préconise de séparer la gestion de
l'infrastructure de celle de l'exploitation dopée par les performances
du TGV. Il en résulte en 1997 l'ouverture de Réseau ferré de France (RFF)
chargé des infrastructures, une nouvelle entreprise financée par des
droits de péages. Mais,
compte tenu du volume des
investissements engagés - notamment le financement de la LGV-Est dont
'RFF'
supporte le quart (530 M€), comme du manque de subventions
compensatrices de
l'Etat - la réunification de RFF avec la SNCF est décidée en 2015
afin de combler ce déficit. En réalité, le financement public
s'applique à toutes les infrastructures de transport où que ce soit
dans le Monde et concerne aussi bien les routes, les ports que les
ensembles aéro-portuaires et la Société nationale peut ainsi renouer
avec sa préoccupation majeure d'exploitant. L'entretien du réseau fait
désormais appel à la sous-traitance, le trafic marchandise ouvert à la concurrence relève de corridors destinés à acheminer des trains complets de containers de Marseille et du Havre vers l'interland européen. Avec la création des TER, la concurrence routière aboutit à contractualiser le transport voyageurs en régions, malgré
la nostalgie du 'vieux chemin de fer' illustrée par l'importance des
publications qui lui sont consacrées. De même, Ile-de-France Mobilités (ex STIF) regroupe la SNCF, la RATP et d'autres
opérateurs chargés d'exploiter un réseau caractérisé par un trafic en
expansion, tout en assurant sa modernisation. Enfin, la réussite du TGV a eu deux conséquences directes sur la SNCF. Sa spécialisation au trafic voyageurs a abouti à
l'évolution des métiers, comme le montrent les
mouvements sociaux où le rôle des contrôleurs l'emporte désormais sur
celui des tractionnaires. Quant à la fonction de recherche et développement (R&D) jusque-là aux mains de la SNCF, elle est désormais confiée à l'industrie. C'est ainsi que François Lacôte, un X-Ponts
responsable de la conception du 'TGV-Duplex' est amené à quitter la direction
du matériel (MT-SNCF), pour rejoindre 'Alstom-Transport' où il est chargé de
concevoir la nouvelle génération de 'TGV-M', ce dont il s'explique dans la revue 'La Jaune et la
Rouge': "...je voulais
continuer à faire un métier qui le passionne, (alors que) les directives
européennes étaient claires : la SNCF n'était plus autorisée à mener des
projets industriels".
Cette évolution, probablement inéluctable, conforte la pérennité d'un
constructeur qui peut se targuer de notables succès à
l'exportation, alors que grâce à la célérité du TGV et au flux de voyageurs qui lui est confié, comme de ses capacités de transport à
moindre impact écologique, le chemin de fer demeure un choix de civilisation évoqué par le 'Monde diplomatique'.